ZEROSECONDE.COM: février 2007 (par Martin Lessard)

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Impacts du numérique sur la communication, notre société, nos vies.

Conspiracy files (BBC)

Un acteur de taille se lance dans le débat entourant la théorie de la conspiration 9-11 : la BBC a offert à la télé dimanche dernier une heure d’enquête sur le phénomène.

Qui aime bien “X-Files” et “24” aime bien suivre la saga conspirationniste du 11-septembre. Il y a du John LeCarré là-dedans. Et on se surprend de douter de la version officielle.

Jusqu'à maintenant, j'ai surtout couvert le sujet lorsque le “mème” se transportait par format audio-visuel sur le réseau. Côté littérature, la somme de sites couvrant cette théorie de la conspiration (et ses contre-théories) est très bien développée et prospère, merci.

Mais sur le terrain Internet, il manquait encore des joueurs de taille pour rivaliser avec les Loose Change : la BBC nous offre dans le cadre de sa série Conspiracy Files un reportage bien mordant sur la théorie... et prends position.

À VOIR : BBC' Conspiracy Files : 9/11 (sur 911blogger.com)

C’est 1 heure chrono, bien serré et bien monté. La BBC, après avoir passé en revue les assertions les plus troublantes des “théoriciens”, en les confrontant une à une avec des témoins oculaires ou des spécialistes, conclut que cette théorie de la conspiration n’est que ce qu’elle est : une théorie.

Trace de conspiration
Elle affirme que s’il y a eu conspiration, c’est peut-être le fait d’avoir masqué après coup les manques de communication entre les agences (FBI/CIA). Ce manque de communication, on le sait, a conduit les terroristes à traverser les mailles du filet.

Et on entend "conspiration" dans le sens où plus d’une personne se serait concertée pour faire dire les mêmes choses. Et dans le cas présent, elle serait a posteriori : le gouvernement et les agences pour cacher leurs manquements auraient manqué sciemment de transparence afin de se couvrir.

Il est intéressant ici d’observer deux choses :

1. Conclure qu’il n’y a pas de conspiration demande le même acte de foi que de croire à la conspiration. Les journalistes enquêteurs ont monté un document tout aussi convainquant, dans sa rhétorique que Loose Change. Car on demande de croire que l’enquête a été faite de bonne foi et que les interviews, les liens et les conclusions sont désintéressés et sincères.

2. La légitimité des journalistes est plus grande : outre leur affiliation à la BBC, qui leur donne une crédibilité instantanée, les journalistes ont effectué leur enquête sur le terrain. Le document montre les théoriciens comme ils sont : des théoriciens. Ces derniers sont dans leur bulle, et leur source est puisée dans les archives accessibles. Les journalistes ont été cherchés les informations manquantes.

La force du journalisme classique est patente : en allant sur le terrain, et interviewant des témoins, et créant de la nouvelle matière, de la nouvelle information, on démontre ainsi, comme le dit Chomski, qu’il naïf de croire que l’on peut faire son enquête derrière un clavier.

La contre-conspiration
La BBC a réussi un beau document, et s’il n’aide pas à rassurer les fans de la théorie de la conspiration (il faut voir les commentaires excessifs laissés sur le site web de la BBC) en évitant de débattre toutes les assertions conspirationnistes (par exemple, sur l’hypothèse d’une démolition préparée d’un ou des immeubles du World Trade Center où on demande de croire sur parole un spécialiste), il donne des munitions à ceux qui cherchent à passer à autre chose.

Politique en cybérie

La campagne électorale québécoise est lancée. Et Internet, à l’heure de ce qu’il est convenu d’appeler le web 2.0, semble devenir un vecteur de communication non négligeable. Mais les questions qui se posent ici ne sont pas de savoir si la cyberdémocratie est à nos portes, mais si Internet va se plier aux règles du «monde réel».

"Internet a beaucoup évolué depuis la campagne de 2003. Pour le citoyen, internet, ce n'est plus seulement pour chercher de l'information : c'est maintenant un moyen de diffuser de l'information. Nos règles ne sont pas nécessairement adaptées à toutes les situations. "

Voilà ce que le Directeur général des élections admet via son porte-parole (Source Paul Cauchon dans le Devoir d'hier : Internet inquiète le DGE ).

Web 2. Élection 0
Un peu maladroit comme formulation : Internet n'a pas fondamentalement changé, c'est son usage qui a changé. Il ne faut pas prendre le 2 de web 2.0 à la lettre. Le citoyen a toujours eu le moyen de diffuser de l'information; mais aujourd'hui, clairement, il lui est plus facile de le faire qu'auparavant. Pour deux raisons :
  1. Les outils mis en place par des corporations ont facilité grandement l'auto-publication pour le grand public (plateforme blogue, commentaires, wiki, espace perso).
  2. La masse critique de contenu provenant de la base (user generated content) offre une qualité suffisante pour concurrencer les grands groupes de communication.
La vraie raison, c'est que l'on ne commence à prendre au sérieux Internet qu'aujourd'hui.

Que les règles du DGE ne soient pas adaptées, j'oserais dire qu'il fallait y penser avant. Le rôle crucial du DGE est de surveiller les dépenses des partis pour faire respecter une certaine idée de la démocratie (personne ne veut revenir à une oligarchie de riches manipulant l'opinion publique avec leur sac de billets verts).

Aux blogues, citoyens!
Mais que faire des blogues politiques alors? Est-ce une dépense électorale admissible et répertoriée? S'agirait-il de "l'équivalent des lettres aux lecteurs" comme l'avance le DGE. Pourquoi pas? J'avais auparavant avancé que le billet d'un carnet est un courriel à tous. On aurait donc tous le droit d'écrire au "journal mondial".

Serait-ce une façon de minorer l'impact des blogues? Inutile de la faire, car au Québec, comme le dit Patrick Lagacé et Hou-Hou, "la blogosphère québécoise n'est pas rendue "là". Pas au niveau d'organisation et de maturité de la blogosphère américaine, par exemple".

Caisse occulte (de résonnance)
Peut-être qu'aucun blogue ne pourra rivaliser avec la machine médiatique traditionnelle, mais peut-être aussi que la blogosphère québécoise, dans son ensemble, sera une grosse caisse de résonnance pour faire percoler de l'information.

La loi régit seulement le contrôle des dépenses (qui a une incidence sur la quantité de pancartes ou des dépliants imprimés par exemple) mais contrôle-t-elle la reproduction "sans coût" des idées ou du programme? J'ai aussi souligné le rôle de relais des blogueurs: reprendre des extraits d'un site ou d'un message et les republier sur son blogue est une pratique courante. Considère-t-on son temps comme relié à une activité électorale. Dur à prouver en tout cas.

Politique pull versus politique push
Mais il ne faut pas oublier une chose : le médium Internet est un média pull. On ne pousse pas l'information, on vient la chercher. Le blogueur le plus politisé qui soit risque de n'attirer que des convertis. Et de toute façon, les sites (non-blog) partisans ont depuis le début existé: le contenu est là, sous forme de blog ou non. Car il n'y a plus besoin d'écrire à l'heure de youtube (via Patrick lagacé). Alors où est la différence avec une campagne Internet ?

Des notions d'espace média, de temps d'antenne ou d'argent dépensé ne tiennent plus. Un vidéo viral qui atteint 1 million de personnes n'est pas la même chose qu'une pub qui rejoint le même nombre de téléspectateurs. La définition d'une publicité me semble inclure l'idée de push. Et c'est ce que le DGE contrôle : les médias push.

Seconde vie
Mais que faire de la caisse de résonnance dont je parlais. Quand on voit ce que Sarkozy fait sur Second Life, on voit bien que ce serait moins pour faire des débats par avatars interposés que pour se faire parler de lui. Et la caisse de résonnance de se mettre en marche pour faire du bruit médiatique pour lui. Une seconde vie pour propulser son brand... gratuitement.

Est-ce que la construction d'un lieu virtuel fait partie des dépenses électorales? La production de ces communications devrait être comptabilisée. Mais pas leur diffusion, mixage, remixage, syndications, spin-off, détournement, citation, copie. On ne contrôle pas un mème. Mais si un élu se présente au débat virtuel, il y a lieu de comptabiliser la dépense...

Si le DGE s'entoure bien, il pourra réussir à trouver les bonnes balises. Pour l'instant, la partie est encore simple. Le débat sera vraiment plus corsé quand des équipes de professionnels, pour le compte d'un parti, réussiront à faire l'astroturfing pour modifier l'opinion publique de façon tout à fait "cyberdémocratique"...

Yahoo Pipes : l'aimant dans la botte de foin

Yahoo Pipes, sorti en Beta, me semble être un de ces outils majeurs qui donnent le ton aux changements en cours sur le web : "mash-up for the rest of us" (ou presque -- car il faut tout de même se gratter la tête).

Il permet de mixer et remixer des fils webs, des base de données et des résultats de recherche à volonté pour en sortir du nouveau data.

Éric, ResNumerica et Olivier donnent quelques bons exemples; pour une explication bien claire et en français dans le post, c'est sur le blogue de Toile-Filante que ça se passe.

Searchmastering
Ça me rappelle une idée que Sylvain et moi avions eu à l'été 2004, le moteur de croisement. C'était un moteur de recoupement de fils RSS pour créer un seul fil web à partir de comportements et de choix d'un groupe de relais. Une idée intéressante pour faire percoler de l'information de son propre cercle de connaissances. Je serai curieux de savoir si Yahoo Pipes pourrait arriver à faire ressortir de ma micro-blogosphère deux posts ou plus qui parlent du même sujet...

Ça me rappelle aussi un concept développé par Robin Good, le newssmastering. Je crois qu'effectivement, avec un tel outil, on pourrait voir apparaître des talents de searchmaster, des personnes qui se spécialisent dans le recoupement et la granularité des recherches pour faire percoler l'information voulue, un peu comme Éric Baillargeon le fait...

L'aiguille dans la botte de foin, nous allons peut-être la retrouver...

Le web 2.0 par lui-même

Arrêtez vos powerpoints, fermez vos words, laissez tomber vos bookmarks : ceux et celles qui cherchent à faire comprendre la révolution en cours de façon claire et limpide se doivent de regarder ce clip : "Web 2.0 in just under 5 minutes". (Via Catalina)

"The Machine is Us/ing Us"



Publié par Michael Wesch, assistant professeur d'anthropologie culturelle au Kensas State University et à la tête du groupe de travail "Digital ethnography". (MàJ: Wesch Interviewé par Battelle en anglais, via McGee's Musing)

Teaching the Machine
Kevin Kelly écrivait en 2005 dans le Wired (We are the web) qu'il n'existe qu'un seul moment dans l'histoire de chaque planète où ses habitants se connectent globalement pour la première fois, pour fabriquer un seul et même réseau où toutes les pensées se croisent.

Internet n'est pas apparu en un jour, mais il est apparu de notre vivant. Vous et moi, pour encore quelques années, pouvons dire que nous avons connu ce monde en transition. La génération qui est en train de prendre d'assaut le web n'a pas connu "l'avant Internet". La "machine" était déjà née.

Par "machine", certains entendent ce réseau qui "s'auto-organise" devant nous et par nous. Connecter des morceaux de savoirs avec des (hyper)liens donne l'impression que nous assistons à une métamorphose de la connaissance humaine.


Who will organize all the data?
Le vidéo de Wesch, outre son esthétique, possède la caractéristique d'être une oeuvre ouverte : la version actuelle, au moment de mettre sous Blogger, n'est que la seconde ébauche avant version finale. Et les internautes sont invités à commenter pour améliorer la dernière version prévue pour fin février.

Comme le web, elle se veut une oeuvre collective...