ZEROSECONDE.COM: décembre 2008 (par Martin Lessard)

ZEROSECONDE.COM

Impacts du numérique sur la communication, notre société, nos vies.

Trois choses dont le livre n'a pas le monopole

Il y a des fois où mon journal (papier) favori lance des flèches détournées sur mon médium favori (le web). Combien de fois je lève les yeux au ciel en me disant : il va bien falloir crever l'abcès un jour.

La connaissance au poidsJean-François Nadeau, dans le Devoir de samedi (et n'essayez pas de le retrouver, l'article est verrouillé) a signé une excellente chronique sarcastique sur son confrère de la grosse Presse Patrick Lagacé et son billet où il dit que le livre meurt (et ce n'est pas grave) --oui, oui, disponible en ligne-- car il, Patrick, ne lit plus ou presque de livre. À cause du web.

«La nouvelle est-elle ici d'apprendre que le chroniqueur a déjà lu des livres ou qu'il n'en lit plus» lance caustiquement Nadeau. Avouez que c'est un bel humour. Mais c'est la suite qu'il faut lire.

Faux, le livre ne se meurt pas, insiste-t-il, «les gens lisent plus de livres que jamais à l'échelle du globe. On en édite d'ailleurs de plus en plus».

(re)lire
Ça, ça fait plaisir à... lire. Même si je ne dirais pas qu'acheter un livre, c'est le lire (ça se donne en cadeau, par exemple --et rien ne dit que l'autre va le lire) ni que la quantité délirante de bouquins que les éditeurs déversent depuis plusieurs années sur le marché est de bon augure pour la qualité, mais je suis trop content pour m'empêtrer dans ces détails et ça nous éloigne trop de notre propos.

Il ajoute ensuite: «Comment peut-on soutenir en effet sérieusement qu'abandonner le mode de lecture que permet le livre serait sans conséquence sociale fâcheuse?"

Bon. Voilà. Pause. Trois choses d'abord.

  1. Le livre n'a pas le monopole de la lecture. Dire que le livre se meurt ne veut pas dire que la lecture se meurt.
  2. Le livre en tant qu'objet sera, quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, obligé d'encaisser l'arrivée d'internet, et dans certaines catégories, c'est déjà commencé.
  3. Le livre n'est pas le seul détenteur de l'accès au savoir. D'autres modes d'accès à la connaissance, à la culture, émergent autrement que par la linéarité --même que certaines pensées s'acquièrent plus facilement par les hyperliens.
(é)lire
Jean-François Nadeau avait peut-être ces trois points en tête, car il ajoute ensuite: «La lecture que propose Internet est d'un type nouveau. C'est une lecture par agrégation d'information conçue pour un court terme en dents de scie. Jusqu'à preuve du contraire, le Web ne permet guère une réflexion dans la durée

Je ne sais pas qui il suit sur son agrégateur, mais rien que sur le sujet des livres, de la bibliothèque et de l'information à l'heure du web il y a Olivier Ertzscheid, Silvère Mercier, Bertrand Calenge, Dominique Lahary, Jean-Mary Le Ray, Alain Giffard, ou l'ubiquiste Hubert Guillaud (Internet Actu, La feuille). Voilà de quoi le rendre moins sûr d'affirmer qu'il n'y a pas de réflexion dans la durée.

De ce côté-ci de l'océan, nous ne sommes pas en reste, car on peut suivre avec intérêt Jean-Michel Salaün, Mario Asselin, Remolino, ou les prolifiques Alexandre Enkerli et Mitch Joël.

Et tiens, rajoutons donc dans le lot, ne serait-ce que parce qu'ils ont déjà dit à un moment ou à un autre des choses similaires à ce qu'il reproche à Patrick Lagacé : Nicolas Carr, Mark Pesce, Yann Leroux, Olivier Auber et le prolifique Dave Pollard.

(sa)lire
Statistiquement parlant, Nadeau a raison. La blogosphère n'est pas un haut lieu du savoir. Mais dans ce cas, les bouquins non plus. Statistiquement, regardez les arrivages d'offices et vous perdrez vos illusions...

Les journaux aussi, pris globalement, n'offrent qu'un faible niveau intellectuel, en moyenne. Ah bin ouais! j'inclus, moi, les journaux jaunes, comme lui, je crois, doit inclure skyblogue et myspace dans son décompte du "web".

(dé)lire
Mais peut-être a-t-il autre chose en tête quand il dit «réflexion dans la durée».

J'espère qu'il ne fait pas allusion à la pérennité du papier, dont on sait que les éditeurs peu soucieux n'ont cure en nous refourguant des livres dont les pages s'émiettent et où sa reliure tombe en lambeaux après quelques manipulations.

Ou fait-il allusion à la perte de mémoire du "numérique"? ce qui n'est pas plus différent que la non-réimpression d'un livre...

Je crois que nous avons là plutôt une réaction toute culturelle, peut-être cutanée ou alors simplement motivée par une sainte exaspération de voir la logorrhée 2.0 rendre caduque une certaine conception de la connaissance...

(savoir)lire
Quand il termine (en citant de nouveau Patrick) «"je profite du génie collectif des internautes" lance Lagacé à la va-vite, visiblement peu avisé, en cette ère où règne le blogue, que la pensée en commun conduit le plus souvent à des pensées communes», il émet une opinion, qui en dit long sur ce qu'il pense de "la base qui autopublie ".

Ce que Patrick a dit reflète davantage une réflexion qui a cours depuis plusieurs mois déjà sur Internet : filtrée par une communauté, via un réseau social basé sur des intérêts convergents, parfois temporaires, une certaine co-construction du savoir se fait sur le web. Patrick était au contraire bien avisé d'affirmer son attachement au "génie collectif".

(Tire)lire
Puis-je citer un passage du livre Christian Vandendorpe que Nadeau refuse à Lacacé?«On vit une époque aussi excitante, au plan intellectuel, que la Renaissance. Peut-être même plus. Le pari que je fais, aujourd'hui, c'est qu'on va voir naître une plus grande curiosité, un plus haut degré de connaissance.» Mais j'aurais pu citer tout autant une bonne partie de la blogosphère. Il s’agit seulement de bien sélectionner le bon "génie collectif".

Et en abordant le "génie collectif", Patrick ne fait rien d'autres que dire comment l'électronique n'est pas qu'un nouveau support, mais que la lecture, linéaire et solitaire, se voit déborder sur ses côtés par des modes d'acquisition dialogique ou communautaire qui n'a rien de commun, sauf à insister sur un humanisme myope à certaines émancipations sociales facilitées par le web.

Lire sans support
En ce qui concerne le livre-objet, les journaux-papiers, et les magazines au poids, on y trouvera aussi quelques autres grandes figures qui ont annoncé avoir quitté le monde du papier pour le web. Quand le livre verra un support digne de ce nom le concurrencer, d'autres suivront...

Est-ce que je me trompe?
---
À lire sur Zéro Seconde
-Support physique : fin annoncée? 18 novembre 2008
Avec le tout numérique et une conscience écologique,est-ce la fin du support physique du contenu en tout genre (musique, nouvelles, etc.)?
-Fin du papier 9 septembre 2008
On annonce régulièrement la fin des livres. Ce qui sera serait étonnant. Mais serait-ce plutôt la fin du papier qui s'annonce avant.
-Ceci ne tuera pas cela 28 janvier 2008
Bibliothèque comme sélection aléatoire de la connaissance
-Mythologies de la connaissance [1], [2] et [3] Novembre 2006
-Écosystème de l'information: une série de 5 billets en cours:
(1) Twitter surge
(2) P2P News
(3) Info-broker
(4) Context is king
(5) Large scale reactivity

Ecosysteme de l'information (3/3) : Info broker

On se préoccupe beaucoup, avec raison, de cette métamorphose qui atteint le monde des médias, entre autres parce que ce que l'on appelait avant un "consommateur d'information" est devenu aujourd'hui un "acteur". Et lui aussi cherche de nouvelles stratégies pour survivre dans la surabondance de l'information.

Source:life  Google imgurl=d5568675f32065af Je poursuis ici une série de 5 3 billets exploratoires (lire Écosysteme de l'information (1/3): Twitter Surge et Écosysteme de l'information (2/3): P2P news) en me consacrant aujourd'hui à ce qui a modifié le comportement des usagers dans ce nouvel écosystème de l'information.

La mutation qui s'empare du lecteur qui, tout en étant un consommateur pour les info-brokers, participe en même temps à le nourrir, rendant encore plus floue les frontières dans cette chaîne, puisqu'il est à la fois en amont et en aval de l'information.

Changements majeurs pour l'usager

Je me limiterai à citer que quelques points concernant cette évolution de la place du grand public face à l'information dans les deux dernières décennies (Alexandre Serres en dénombrait jusqu'à 7) et dont, il y a déjà un petit bout de temps, je vous avais entretenu.

1-Autonomie de l'usager: affranchissement total des usagers face aux professionnels de l'information (bibliothécaires, journalistes, médias, critiques, professeurs, députés...) dû notamment à leur augmentation (concurrence) et à la multiplication des outils et des canaux. (Si le sujet vous intéresse : The Information Industry Revolution: Implications for Librarians ). Auparavant, en aval, derrière des gardes-barrières, il se retrouve aujourd'hui à filtrer lui-même, à la source (ou plutôt à une multitude de sources) ses informations. Et ce, même s'il ne souhaite pas.
2-Apparition du hasard comme facteur de réussite: d'une recherche structurée avec méthodes et applications, on est passé à l'ère où un document se découvre par hasard au détour d'un clic. (Si le sujet vous intéresse : Chercher faux et trouver juste: Serendipité et recherche d'information). Dans un monde d'abondance, il n'est pas rare de toujours revenir de la pêche avec une bonne prise, qu'importe où l'on pêche. Et ne sous-estimez pas cet effet: quand toute recherche permet de donner une réponse "satisfaisante" la valeur d'une réponse "exacte" (et donc coûteuse) s'écroule.
3-Déplacement de la barrière: l'accès à l'information n'est plus un problème, la capacité de traitement de cette information est devenue la nouvelle barrière. (Si le sujet vous intéresse : Problèmes et enjeux de l’évaluation de l’information sur Internet). Comment traiter 10000 hyperliens trouvés? La "pertinence" comme critère technique est bien dure à atteindre. L'accès n'est plus un problème, mais voilà que son traitement cognitif en est devenu un.
Dans un monde (hyper)riche en information, où les outils nous noient davantage qu'ils nous aident, l'hominidé post-turingien (mmm intéressant comme expression que je viens de créer), que nous sommes en train de devenir, voit dans un néo-tribalisme un chemin de traverse...

Filtre humain
Puisque les filtres ont été court-circuités et que la validation d'un document repose sur l'usager, il lui incombe d'identifier ce qui est digne d'être lu/vu/entendu. Mais comme 99% de nos informations sont de "seconde main" (la plupart des informations sur le monde nous sont relayées et non acquises de "première main") cette tâche s'accomplit en se fiant à des "autorités cognitives ou informationnelles".

Nous choisissons nos sources, ces info-brokers, qui nous alimenteront, filtreront, agrégerons en contenu, pour nous tenir au courant...

Et pour les choisir, rien de tel que de se fier à sa tribu: son ami, sa copine, son père, sa cousine, le collègue, l'instituteur, la directrice, son équipe...

L'outil web Praized ne fait rien de moins que de faire vibrer cette corde et Yahoo Mail s'oriente dans cette même direction.

Disponible chez un info-broker près de chez vous

La qualité n'est évidemment pas assurée, mais dans le lot, on l'a vue, avec la sérendipité, on finit par trouver du contenu potable quand même, un peu comme on trouve toujours un arbre dans sa ligne de vision dans une forêt.

La mobilité et l'interchangeabilité des info-brokers sont telles qu'il donne l'illusion --mais ce n'est plus techniquement vraiment faux-- que l’information se rend à nous et non l'inverse. Qu'elle nous trouve. Ou du moins qu'elle est là où on l'attend.

Reléguant ainsi le (bon) journaliste au "faiseur de bruit" --bruit dans le sens d'information non demandée -- et donc, essentiellement appelé à nous instruire sur ce que l'on ne s'attend pas --et je crois qu'une partie de la crise du journalisme provient du fait que certains ne disent que ce que l'on veut entendre. Mais on déborde du sujet.

Who's the king?
Avec un tel scénario, que reste-t-il à faire? Qu'en est-il du "Content is King" dans un tsunami d'information?

Ce qui émerge depuis quelque temps et qui prend lentement sa place dans la chaîne, c'est "The Context is King". Mais gardons-en nous un peu pour une autre série.
---
Lecture en attendant une prochaine série de billets

10 considérations sur les blogueurs, de François Guillot, qui constitue une des réflexions les plus pertinentes cette année sur la blogosphère dans la chaîne informationnelle.
Le journalisme est malade, interview vidéo de Jean-Claude Guillebault, où il affirme que le journalisme disparaît petit à petit au profit du médiatique. Trahison de la vocation journalistique?
Pourquoi la crise du journalisme? interview vidéo de Jean-Claude Guillebault, parce qu'ils disent tous la même chose.

Bilan 2008 Qc

Le Lien Multimédia fait son bilan 2008 et les perspectives pour l’année 2009 et a fait appel à quelques uns de l'industrie pour avoir notre point de vue. Voici le mien que j'ai envoyé, et que j'ai retouché ici pour mettre du contexte et des explications.

-Quelle a été, d’après vous, la meilleure idée à voir le jour dans le monde multimédia québécois en 2008?
Dur, dur. Praized.com, le site de recommandation de lieu, pour son answers.praized.com et le prix boomerang qu'ils ont gagnés. Mais aussi Akoha.com le jeu de "social réalité" ; ExVisu pour leur couverture analytique des élections américaines (Sarah Palin et Obama/McCain)

- L’échec de 2008?
Lissage du trafic Internet : notre CRTC donne raison au gros Bell d'étouffer la bande passante pour favoriser ses intérêts. Lire Le Devoir.

- Une chose que vous aimeriez voir en 2009?
Un plan numérique pour le Québec

Ecosysteme de l'information (2/3): P2P news

Si toute personne avec un cellulaire peut instantanément "informer la planète" via un simple message texte: peut-on dire que le "journalisme citoyen" détrône sur deux fronts les médias traditionnels : rapidité et quantité? Les micro-messageries s'imposent comme un acteur de premier plan pour "écrire un premier jet de l'histoire qui se déroule" ("first draft of history").

source:life May 1949 Andreas FeiningerCe débordement est prévu depuis longtemps (lire mon billet de 2005, La blogosphère et les médias.) Et par ricochet, une nouvelle définition du "live" s'installe : un flux multimédia (image, sons, vidéos et textes, surtout des courts textes) et non plus simplement télévisuel.Comme si l'on voulait "du bruit, beaucoup de bruit, et du brut, que du brut".

Avec une participation en prime (un genre de "P2P news"?).Je vous propose de poursuivre ma réflexion sur cette mutation de la chaîne de valeur de l'information afin d'identifier l'impact d'internet et des réseaux sociaux. Lire Écosysteme de l'information (1/3): Twitter Surge.

Une image vaut 140 caractères?

Dans un micro-message, qu'est-ce qui est transmis? De la connaissance, de l'information, du data? On a le droit de dire qu'un micro-message ne produit ni information ni analyse, comme j'ai cité hier Alain Joanne, sur Journalistiques.fr.Certains ont conclu de l’inefficacité des médias sociaux à couvrir l’actualité chaude, avec fermeté, comme Fred Cavazza.

Ils constatent que les messages dans les médias sociaux n'ont même pas la valeur de témoignages exclusifs et qu'ils sont d'une parfaite banalité, car les "journalistes"citoyens" n'ont pas accès aux lieux privilégiés d'observation, ni ne procurent le recul nécessaire à l'analyse.Je crois ce constat (a priori sensé) n'offre toutefois pas un portrait précis de la situation.

Information, information, est-ce que j'ai une gueule d'information?
Mais avant de poursuivre, entendons-nous sur ces trois définitions avant, afin de voir si nous comparons des pommes avec des pommes (voir schéma de Michel Cartier sur le cycle données-informations-connaissances).
  • Données (data): représentations symboliques sans contexte
  • Information : représentations mentales de données en contexte
  • Connaissance : intégration des informations à des schémas mentaux préexistants
Si nous sommes d'accord que des données brutes sont sans contexte, les micro-messages ne peuvent être autre chose que des "données" , par manque évident de contexte...

Dans ce sens, Alain Joanne et Fred Cavazza n'ont pas tort. Mais alors ils ne disent rien de plus qu'une évidence. C'est pourtant prêter aux médias sociaux la prétention de la grenouille a vouloir devenir aussi grosse que le boeuf. Erreur de tir.

Les médias sociaux, et la micro-messagerie en particulier, même s'ils "démocratisent le scoop", ne cherchent pas à remplacer les médias traditionnels.

Journaliste crowdsourcé?

Pris individuellement, aucun micro-message n'est plus qu'un télégramme. C'est l'amoncellement de télégrammes qui remplit une fonction dans l'écosystème et qui finit parfois par donner du contexte.

«L’objectif, ici, n’est pas de produire une information low-cost sans journalistes, mais de travailler intelligemment dans le cadre d’une info en réseau. Produire une info plus pertinente par rapport aux attentes des lecteurs: hyper réactive, moins conventionnelle dans ses choix, plus “live”, plus libre, avec plus de ton, de conversation, beaucoup d’émotion.»(source Benoît Raphaël, LePost.fr)

Tirer sur la vacuité des médias sociaux c'est ne pas comprendre que "l’info en réseau est en effet aussi une info en fragments." (Francis Pisani, Le Monde).

Le contexte n'est pas donné par un seul message, mais le par le flux de messages. Une erreur (rumeur, fausseté) est rapidement corrigée par une autre avalanche de messages (lire un cas durant l'attentat de Bombay).Comme une fragile fourmi est ridicule sans sa colonie. C'est la somme colossale de micro-messages qui ouvre un nouvelle façon de voir le flux de nouvelles, de donner du contexte et de créer les premiers jets de l'histoire en cours. Histoire qui est ensuite réécrite, enluminée, solidifiée ensuite par les médias traditionnels, dans cette chaîne qui est en mutation (et non en concurrence)

First hand generated
Ce qu'il faut comprendre, c'est que les médias sociaux, via la micro-messagerie, sont aux premières loges pour faire démarrer le processus du regard tourné vers un événement-en-devenir, mais qu'il n'apporte pas sa propre véracité (chaque message n'apporte pas sa validité --mais est souvent confirmée par le nombre-- contrairement aux institutions journalistiques dont on attend qu'ils aient validé l'info avant diffusion).

L'analyse et l'information, donc, n'arrivent pas par Twitter. Les micro-messages ne sont que les pointeurs tangibles vers des actes/faits/segments de la réalité. Ils pointent aussi vers les informations et les analyses. Il contre-balance (ou confirme) la récolte de données du journaliste, l'aide (ou lui nuit) dans sa démarche.

Ils placent, au coeur du chaos, sur des noeuds attracteurs, des individus, journalistes ou autres, en situation de donner du contexte à ce qui se passe, tout en permettant au lecteur, enfin, de retracer l'origine des détails qui l'ont conduit à mettre en contexte et ultérieurement offrir une analyse.

Information broker

On croyait l'intermédiaire disparu avec la venue d'internet, il est au contraire bien là, mais revenu plus pertinent qu'avant et possède un rôle différent: il est devenu un "Information broker".

Paul Cauchon constatait hier dans le Le Devoir cette pression qu'ont les médias de "partager leur espace avec le citoyen" pour créer une "valeur ajoutée". Car il semble que le "lecteur veut pouvoir participer au média qu'il consomme".

D'où un constat qu'il fait : "les journalistes seraient donc devenus des sortes de passeurs, de dialoguistes".

C'est de que j'appelle "information broker". Oui, mais dans le cas des journalistes, je leur réserve davantage de pouvoir: celui de donner du contexte. Ce dont je vais parler la prochaine fois.

Mais avant, il faut comprendre la mutation qui s'empare du lecteur pris dans une surabondance de l'information, lui qui a besoin de nouvelles stratégies d'acquisitions de l'information. Ce sera le sujet de mon prochain billet plus tard cette semaine: Ecosysteme de l'information (3/5) : Info broker

[Lire Écosysteme de l'information (1/3): Twitter Surge, pour la première partie de la série]
---
À lire aussi
Comment revaloriser l'information dans la presse? sur MédiaChroniques
Twitter: des multiples usages du microblogue (qui dépassent le simple cadre du journalisme)
Nouveaux modèles économiques pour la presse et l'information de JM Le Ray
Une nouvelle architecture de l'information de Benoït Raphaël
L'avenir de la presse en débat sur Novövision
Billets sur mon carnet:

Blogueurs/journalistes: même combat
La société des chroniqueurs
Qui croire quand informations et connaissances circulent librement ?
La blogosphère et les médias
Se penser comme un filtre

Ecosysteme de l'information (1/3): Twitter Surge

Une nouvelle écologie des médias continue de se mettre en place. Bombay (Mumbai) n'a pas seulement été le centre d'attention mondial la semaine dernière, il a été aussi le véritable baptême de feu de Twitter, le service de micro-messagerie (micro-blogging) qui confirme que la "dépêche" (breaking news) pouvait aussi être emparé par les médias sociaux.

Source: Life, Robert W. KelleyL'industrie de la nouvelle en continu a été prise de cours par Twitter, où des témoins de l'intérieur, à proximité ou même très éloignés de l'événement dramatique en Inde ont participé à une autre expérimentation de journalisme citoyen sur la ligne de front.

Cette fois-ci sur un grande échelle, et d'une façon complètement organique.

Je vous propose dans les prochains jours de faire le survol sur cette mutation de la chaîne de valeurs de l'information et d'identifier l'impact d'internet et des réseaux sociaux.

Aujourd'hui, attardons-nous à Twitter (lire Twitter, de la machine à café au micro-journalisme de Philippe Martin pour comprendre cet outil).
À lire dans la presse trad
Mumbai: Twitter's Moment (Forbes)
The information flow from Mumbai (Dan Farber -CNet News)
Tweeting the terror: How social media reacted to Mumbai (CNN)
(FR) Ma soirée Bombay, ou pourquoi Twitter est désormais indispensable ( Laurent Suply - Le Figaro)
(FR) Attentats en Inde: Internet plus réactif que les agences de presse (Marie-Adélaïde Scigacz -VSD)
(FR) A Twitter revolution? (Francis Pisani -Le Monde)

À lire
dans la Blogosphère
Mumbai - Twitter and Citizen Journalism Advance (Rob Paterson, FASTForward Blog)
I Can’t Believe Some People Are Still Saying Twitter Isn’t A News Source (Michael Arrington - TechCrunch)
et particulièrement les 4 billets de Claude Malaison qui a "couvert" en "direct" les événements depuis... Montréal: "#Mumbai - Loin du Web 2.0 et pourtant si près"… I, II, III, IV(Nous verrons plus tard, en quoi son rôle --si loin, si près-- est important)
Another brick in the wall
Je dis une "autre expérimentation" de journalisme citoyen, car la couverture citoyenne n'est plus nouvelle.

On se souvient de ces élections américaines de de 2004 qui a vu la consécration des blogues, les attentats de Londres en 2005 qui a vu les premières photos amateurs parvenir de l'intérieur même du drame et les vidéos du Tsunami de 2006 consacrer la vidéo sur Internet.

Et, tant qu'à remonter dans le temps, le web est devenu un média, lors du tremblement de terre de Kobe en 1995, où des étudiants mettaient à jour leur site web pour tenir au courant les familles lointaines.

Les réseaux sociaux n'ont pas été inventés avec le web 2.0; ce qui est nouveau, ce sont les traces qu'ils laissent.

Twitter est comme une discussion de café. Mais aller au bistrot et écouter ce qui se dit, doit-on conclure que "le bistrot est un média?" Non, comme le dit Benoît Raphaël (de LePost.fr) : "le bistrot est une source, les journalistes de terrain le savent bien. Pas un média.".

Internet est plus qu'un bistrot, mais avec les réseaux sociaux en tant que canal participatif il s'apparente à un média, avec ses propres particularités et s'imbrique davantage dans l'écosystème de l'information comme une source très importante mais redéfinie tout notre rapport à l'information.

Les attentats de Bombay n'ont pas fait exception: les réseaux sociaux ont couvert l'événement (lire Following Mumbai Attacks via Social Media de Amy Gahran), en véritable "coopétition" (def.) avec les médias traditionnels. Ou proto-coopétition, car cela est encore vécu comme une compétition (avec des gagnants et des perdants). Or il s'agit simplement d'une mutation de l'écosystème de l'information.

Twitter in arms

Ce qui est particulier cette fois-ci, c'est l'usage en général des micro-messageries (comme le BlackBerry), mais en particulier, de Twitter comme outil de dépêche, sur une grande échelle.

Précisons. C'est un baptême pour Twitter, mais ce n'en est pas un pour la micro-messagerie. Car le tremblement de terre au Sechuan en début d'année 2008 a été sa consécration, de fait. Mais cette révolution-là a été télégraphiée en idéogramme chinois (commencez à vous faire à l'idée et courrez dans un Institut Confucius le plus près de chez vous) et les Occidentaux ont été laissés sur le bas-côté de l'autoroute de l'information.

Post in the machine
Quoi?! Le témoin comme reporter? Il n'y a que les purs et durs pour encore s'en faire du sang d'encre ("[...] à ce cirque de l'information déjà joyeusement compliqué, viendrons-nous ajouter l'emberlificoteur blogueur?"). La question est mal posée, et la réponse, connue depuis très longtemps, ne laisse pas de doute (et on arrête pas de le répéter), ce ne sont pas des journalistes.

L'écosystème qui se met en place depuis quelques années voit Twitter entrer avec force dans la chaîne de valeur. Cette fois-ci c'est au niveau de la chasse-gardée hautement réservée du "breaking news" et du "live". Seuls les médias traditionnels bien équipés occupaient ce terrain depuis 2 décennies.

On n'est plus spectateurs de l'événement, on y participe. On peut y voir une menace. On peut aussi y voir une opportunité. La différence tient à la volonté de se redéfinir ou de stagner.

Harnachez la Mustang
Vouloir harnacher la "dépêche sauvage" est une stratégie possible devant la montée des médias sociaux. Les médias qui cherchent être associé à "ça" doivent passer par-dessus leur honneur propre. CNN tente actuellement de harnacher la dépêche "crowdsourcé" (def.) sur iReport. Les meilleures dépêches sont estampillées "bon pour diffusion" et peuvent recevoir le logo CNN.

Débusqueurs d'info
L'écosystème de l'information en réseau est définitivement une info en fragments:

"L’info n’arrive plus ficelée comme un paquet soigné sous forme d’article avec un début (lead disent les Anglo-saxons), un milieu et une fin, ce qui implique un minimum de synthèse et d’organisation. Pauvre Aristote
". (Francis Pisani, le Monde).

Il ajoute qu'il faut accepter que les "premières interprétations ne sont plus le monopole des «têtes parlantes» qui pullulent sur nos écrans télé."

On a le droit de dire qu'un micro-messages ne produit ni information ni analyse, comme le décrie Alain Joanne sur Journalistiques.fr. De là à conclure de l’inefficacité des médias sociaux à couvrir l’actualité chaude, il n'y a qu'un pas, franchi avec fermeté par Fred Cavazza.

Je crois ce constat (juste dans le propos) n'offre pas un portrait précis de la situation, où le "live" devenu "participatif" (et même l'arme fatale selon Benoît Raphaël sur LePost.fr) confirme en fait une mutation de l'écosystème de l'information, à partir de la base, vers le haut et force à voir que nous avons un tout autre rapport face à l'information.

C'est ce que nous verrons demain: Écosysteme de l'information (2/3): P2P news

Go numeric, young man

Obama promet l'accès haute vitesse (broadband) pour tous.

M. Obama a proposé un programme de reprise économique dans son adresse à la nation hier en réplique aux 533.000 emplois perdus en novembre seulement.

"We need action — and action now”
Diffusé sur Youtube et à la radio hier matin, M. Obama propose, outre des projets d'infrastructure des routes et des ponts, d'inclure de nouveaux emplois dans la sphère technologique et aussi des emplois "verts", ainsi que des solutions pour que réduire la consommation d'énergie et les émission de CO2.

"Il est inacceptable que les États-Unis d'Amérique soit classé 15e en importance dans son adoption de la haute-vitesse Internet” dit-il “particulièrement dans le pays qui l'a inventé, chaque enfant doit avoir une change d'être en ligne." (“It is unacceptable that the United States ranks 15th in the world in broadband adoption. Here, in the country that invented the Internet, every child should have the chance to get online.”) (source NYtimes)

Et nous?
Pendant ce temps-là, dans la capitale centralisatrice, Ottawa, le premier ministre Harper suspend le parlement, après avoir suspendu le droit de vote de grève des fonctionnaires et le financement des partis d'opposition, "solutions" pour contrer la crise économique appréhendée.

FaceBook, Twitter et #Mumbai

Personne, sauf erreur, n'a relevé le fait que Twitter a gagné un pari survenu quelques jours auparavant.

Le lundi précédent les événements tragiques à Bombay, Twitter avait refusé de se faire acheter par FaceBook, un montant de 500 M$, ce que plusieurs décriaient comme pure folie --Twitter n'ayant aucun modèle de revenu à court et moyen terme.

Puis les événements l'ont mis sur le devant de la scène médiatique. #mumbai aura été son "hashtag" (def.) de gloire. Il s'est fait consacrer de média de micro-journalisme.

Une expression qu'il faudrait d'ailleurs replacer en contexte. Je compte bien le faire cette semaine et m'étendre davantage sur le sujet si vous le voulez bien.

En passant, trouvez-vous que Twitter doit beaucoup à FaceBook pour sa popularité? C'est à travers la fonction "Status" sur FaceBook que plusieurs ont compris l'utilité de Twitter (twitter = juste le "status"...sans FaceBook).

Quand on n'utilise Facebook que pour le status, comme un micro-média de soi, il est plus simple d'utiliser Twitter et on a potentiellement une plus grande portée (puisque non limité à ses "amis")...

Pownce ferme

Pownce a été acquis par Six Apart. Première conséquence, ce service de communauté, de micro-blogging (à la Twitter) et de partage de fermera ses portes le 15 décembre. Dépêchez-vous à exporter vos données.

Si vous souhaitez conserver votre contenu, utilisez l'outil d'exportation à pownce.com/settings/export/

Pownce a été lancé en juin 2007 et ouvert au public en janvier 2008, par Keven Rose, entre autres, impliqué aussi dans Digg et Revision3.

La solution de Pownce était plus complète que Twitter, mais son succès n'a jamais égalé ce dernier...

Une bonne revue de Pownce se trouve ici (en anglais).