ZEROSECONDE.COM: janvier 2010 (par Martin Lessard)

ZEROSECONDE.COM

Impacts du numérique sur la communication, notre société, nos vies.

L'avent du livre électronique

L'attente messianique du livre électronique (comme, par exemple, la 3ième table biblique offerte par La Pomme cette semaine) suggère-t-il la fin de la «lecture». Je porte à votre attention un bon billet de Jean Larose qui semble le croire.

worth1000L'intellectuel québécois Jean Larose, dans l'Avent du livre électronique, publié dans le Devoir d'hier, est un autre cri du coeur* d'écrivain voyant la "montée" d'Internet et de sa "culture" comme barbare: «Une nouvelle humanité est en gestation dans la matrice, à qui l'étrange mot de «lecture» n'inspirera qu'un sourire de barbare supérieur. »

«Un spectre hante le monde du livre. [...] Le livre électronique n'est pas encore réel, mais chacun sent que toute résistance est vaine». Il s'en prend aux évangélistes, pourrait-on dire, qui annoncent un monde meilleur (Pierre Assouline, Hubert Guillaud, Brad Stone).

En particulier parce qu'ils prêchent une pratique d'une nouvelle lecture qui n'est ni encore effective ni réelle selon lui («je ne connais personne qui ait lu un livre au complet sur un écran»)

Les révélations des «croyants» aux nouvelles pratiques hypertextuelles semblent braquer l'auteur. «L'Avent du livre électronique répond en réalité à une vaste intimidation exercée contre tout ce qui réfléchit seul, lit seul, écrit seul

Je ne sais d'où vient cette sensation de persécution.

J'aimerais bien la comprendre parce qu'elle revient souvent: ceci tuera cela? Je ne crois pas. Nostalgie? Incompréhension? Une erreur de diagnostic? Ou tout simplement des appels de phare pour annoncer un naufrage de la pensée?

Pourtant même à la lecture de Pierre Assouline, qui écrit si bien,( N’ayez pas peur, ceci ne tuera pas cela !) il ne semble pas convaincu.

Sommes nous dans un dialogue de sourds?

Mise à jour: voir la réponse d'Hubert Guillaud à ma question sur La feuille

À lire aussi sur Zéro Seconde sur le même sujet:

* Autres cris du coeur dans Le Devoir dans la dernière année

  • Christian Rioux : "la lecture de longs articles sur internet [étant] tellement fastidieuse qu'elle favorisait le zappage au lieu de la concentration [entraînant] une grave régression intellectuelle" ( Voir mon billet Épidemie blogueuse)
  • Jean-François Nadeau : "Jusqu'à preuve du contraire, le Web ne permet guère une réflexion dans la durée.»(voir mon billet Trois choses dont le livre n'a pas le monopole)
  • Louis Hamelin: «Dans ce merveilleux monde de la Gogosphère où la petite culotte d'une chanteuse et un coup d'État en Ouzbékistan avaient exactement le même poids.» Le devoir, samedi 3 janvier 2009, p. e7
  • Gil Courtemanche: «Tout est permis. C'est le message du monde Web, d'un univers dépourvu dorénavant de références et de paramètres.» samedi 19 septembre 2009, p. c2
Mais au Devoir (heureusement) chacun est «libre de penser».
Source image
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Huis Clos J-1

C'est J-1 avant le début de l’opération « Huis Clos sur le net » où cinq journalistes des radios publiques francophones n'auront ni télévision, ni radio, ni presse écrite, ni dépêches d'agence, mais seulement accès à l'information qui émerge de Facebook et Twitter (voir mon analyse préliminaire: IVI: Interruption Volontaire d'Information).

Leur blogue est maintenant ouvert: le premier billet, très laconique, ne révèle rien de plus. Pas de contexte, pas de liens vers une page expliquant le projet et surtout pas de "hashtag", le mot clef sur Twitter pour colliger bottom up les infos sur le projet.

Pas de contexte?
Il n'y a effectivement pas de trace de contexte explicité : le contexte sera probablement donné par les radios qui participent à l'événement. Il le sera probablement aussi par les réseaux sociaux: pour se rendre sur le site on suivra un lien, en provenance d'une autorité cognitive ou influente, où son sens sera suffisamment explicité pour qu'il donne envie de le suivre.

Le contexte est principalement implicite: il faut être au courant du projet pour découvrir et suivre le blogue (assez courant dans la blogosphère)

Un des journalistes participants, Benjamin Muller, a tweeté "il est temps que #HuisClosNet commence, car on commence à lire tout et n'importe quoi sur le net à ce sujet !!". Je ne sais pas à quoi il fait allusion, mais s'il a déjà cette attitude, il n'est pas au bout de ses peines. S'il y a un déficit d'information, hyperlier les pages qui parlent du projet ne nuirait certainement pas. Ou les compléter non plus. Il y aurait peut-être moins de confusion et alors un tweet vers la page pourrait répondre à bien des questions...

Pas de tag?
Un certain soin a été porté à la diffusion de l'expérience à travers les médias traditionnels (rencontre de presse, interview), mais curieusement, comme aucun hashtag n'a été proposé sur le blogue, on se demande comment ils pensent pouvoir agréger les commentaires en ligne.

Une bonne pratique qui émerge lors de rassemblement qui implique une participation en ligne décentralisée est d'offrir une "hashtag" qui permet aux gens de se "retrouver" et se suivre mutuellement.

Les tags qui émergent actuellement sont #huisclos et #husclosnet. J'aime l'originalité de #8clos (très court) mais moins #huisclossurlenet (trop long). Un hashtag coordonné aurait pu éviter de perdre de nombreux caractères: comme #hcn mais il est plutôt cryptique et trop tard pour le lancer bottom-up.

Un tag parallèle : #perigord, utilisé principalement de façon ironique, comme dans "j'informe le #perigord : le tremblement de terre en Haïti est un coup de la CIA".

Pas de liens?
Par contre, ce qui est intéressant à noter, c'est l'absence totale de lien vers les comptes Twitter ou Facebook des journalistes. Peut-être une politique internet ou une difficulté technique. Ou une volonté de ne pas "exposer" leurs journalistes?

Comme je l'ai mentionné plus tôt cette semaine, les réseaux sociaux vont plutôt devenir les observateurs et non les observés et que les journalistes vont avoir des supporters de bonne foi pour les "alimenter" en info du monde "extérieur', modifiant considérablement l'expérience.
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Webographie
Le projet :
Huis clos sur le net (les radios francophones publiques)
Les comptes Twitter
@HuisClosNet/lesjournalistes
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Ma série de billets sur #huisclos (mise à jour 7 février 2010)
1- IVI: Interruption Volontaire d'Information : Décryptage. Où on repose les questions du projet (et y réponds).
2- Huis Clos J-1: Où peut-être on sent un petit flottement dans la préparation ou du moins l'annonce du projet.
3- Huis clos J+2: Où on effleure la difficile tâche de synchroniser les hiérarchies de l'actualité.
4- Huis clos : fin de parcours: Où un #boom permet de voir le travail de filtrage à l'oeuvre.
5- « Ce qu’on a découvert grâce à Huis Clos sur le Net » : Où on ne cache pas notre perplexité face à certaines "conclusions".

IVI: Interruption Volontaire d'Information

«Huis clos sur le net». Cinq journalistes s'isoleront cinq jours durant, coupés de tous médias traditionnels, avec pour seule mission de "resté informé" à travers "les réseaux sociaux" comme seules sources. Décryptage.

Ile déserte

Du 1er février au 5 février 2010, cinq journalistes des radios publiques francophones n'auront ni télévision, ni radio, ni presse écrite, ni dépêches d'agence, seulement l'information qui émerge de 2 réseaux sociaux, Facebook et Twitter.

Mais la réelle expérimentation de ce projet n'est pas là où on le pense...

Description du projet «Huis clos (sur le net)»
«L'idée, c'est de comprendre quelle représentation du monde on se fait à travers les réseaux sociaux, nous allons tenter de faire le tri entre les informations très vite relayées et la surabondance d'humeur» explique un des journalistes à Stéphane Baillargeon dans Le Devoir.

«Notre but est de démontrer qu'il y a différentes sources d'information et de voir la légitimité de chacune de ces sources », ajoute Hélène Jouan, directrice de la rédaction de France Inter dans la Dépêche.

On annonce que ce "jeu" consiste à simuler une consommation d'information strictement limitée au "tweet" et "status" de la communauté en ligne, avec la seule exception d'un suivi de lien (c.-à-d., dans un message Facebook ou Twitter, ils peuvent cliquer sur un lien qui mène à une page web, mais sans cliquer plus loin - le surf est interdit). «Comment être informé et informer à son tour, quand on est coupé des sources traditionnelles d'information ?»

Sur le site des Radios publiques de langue française, qui lance cette initiative "inédite", on dit vouloir mesurer la valeur des infos diffusées sur les réseaux sociaux en se posant ces questions:

  1. La lecture du monde, dans ces conditions, est-elle pertinente ?
  2. Est-on informé de la même manière qu’avec les médias classiques ?
  3. Comment se construit alors l'information ?
Philippe Chaffanjon, directeur à France Info ajoute : «Cette expérience ne cherche pas à démontrer que les médias traditionnels sont indispensables, au contraire. Ce que nous cherchons à faire est de savoir si on s'informe de la même façon à travers les réseaux sociaux qu'à travers les médias traditionnels» (source en anglais) (PressGazette, ouvert, citant Le Parisien, verrouillé)

Pour plus de détails sur le projet, ici: Huis clos sur le net sur France-Info.

Un projet peut en cacher un autre
Que ce projet s'appelle "huis clos" étonne beaucoup: être sur le net est exactement l'inverse d'un huis clos. Qui plus est, sur les réseaux sociaux! Alors comment expliquer qu'un journal titre "Journalistes coupés du monde" (La Dépêche et Le Républicain Lorrain) (l'emphase est de moi)

C'est que, contrairement à ce que le projet laisse entendre, l'isolation n'est pas là où on le pense: un "huis clos" pour ces journalistes, c'est s'isoler de leurs confrères, de leurs réseaux de sources fiables.

Ils ne vont pas seulement être "coupé des sources traditionnelles d'information", ils seront surtout coupés de leur réseau de contacts et de validation!

Dans ma tête, la vraie mission je préfère la résumer tout de suite ainsi:

  • Reformulons: Nos 5 journalistes pourront-ils faire leur boulot de journaliste seulement avec les 2 réseaux de contacts en ligne (et sans pouvoir valider par téléphone, ni par courriel, et surtout sans surfer sur le web pour trouver des répondants ou recouper les sources)?
L'enjeu ici en est une des autorités informationnelles en ligne: comment se crée une autorité cognitive sur Internet dans un monde de surabondance d'information où l'internaute doit développer de nouvelles stratégies pour trier et filtrer l'information. Espérons qu'ils vont partager leurs découvertes et non seulement de cocasses anecdotes.

La candeur des 3 questions citées plus haut peut faire sourire, mais essayons d'y répondre plus bas, question d'éviter que le débat entourant le projet s'enlise trop facilement dans un combat "bonne information" versus "mauvaise information" ou que l'on rejette du revers la main le projet en le pensant pipé d'avance (Numerama -- qui aurait dû tourné 7 fois son clavier entre les mains avant de publier).

Mais il faut admettre qu'il est normal que certains puissent être dubitatifs devant le projet en apprenant les grandes lignes:

«Il y a une volonté de démontrer la supériorité des médias traditionnels pour s'informer. C'est comme si on se disait: "On va utiliser le téléphone, mais on n'aura pas accès au bottin". Il faut poser un regard plus nuancé sur ces outils et l'usage qui en est fait.» ( Colette Brin, professeure agrégée du département d'information et de communication de l'Université Laval cité par Stéphane Baillargeon dans Le Devoir)

Frederic Montagnon, entrepreneur internet, ajoute sur son blogue «On serait mieux informé en habitant à côté de la maison de la radio à Paris que dans un gîte rural dans le Périgord? Sourire.» (source)

C'est vrai que la page web du projet Huis clos sur le net est plutôt laconique sur les raisons sous-jacentes et que les règles sont particulièrement ambitieuses.

Plusieurs journalistes nous ont longtemps habitués à une caricature du phénomène des réseaux sociaux. Alors, ne boudons pas notre plaisir quand on nous propose d'en isoler cinq d'entre eux pour qu'ils nous donnent leur point de vue à chaud... de l'intérieur. D'autant plus que dans la blogosphère, la question de qui informe qui a été évacuée il y a longtemps. On se demande vraiment ce que pourrait être «une lecture du monde SANS les médias traditionnels».

Tirons donc des hypothèses et tentons de comprendre ce qui va se passer la semaine prochaine.

1- «La lecture du monde, dans ces conditions, est-elle pertinente ?»

Ce n'est pas un reproche, mais pour ceux qui s'intéressent aux médias, on se demande si les contraintes qu'ils se sont données a priori (défense de surfer) ne biaisent pas le but de la recherche (y a-t-il une pertinence à lire le monde via les médias sociaux SANS surfer le web?). Mais si on est prêt à jouer le jeu, on doit relever trois mises en garde:
Premièrement, il faut comprendre tout de suite que d'objet d'étude pour ces journalistes, les réseaux sociaux vont plutôt devenir les observateurs d'une étude inversée où ce sont eux qui deviendront les cobayes et non l'inverse. Ou tout au moins, l'observateur et l'objet d'observation seront en forte interaction. Au pire, l'observateur devient l'observé.

Deuxièmement, tout en reconnaissant que le huis clos est impossible (le public est au contraire tenté de s'inviter), l'isolation relative n'est pas "inédite" : une bonne partie de l'intelligentsia de la webosphère, déjà férue d'interruption volontaire d'information traditionnelle, s'y adonne régulièrement. Ce qui est inédit, ce sont les règles plus strictes (usage limité à Facebook et Twitter) qui accentuent la dépendance aux filtres sociaux d'une façon artificielle.

Troisièmement, les conclusions à la question «La lecture du monde, dans ces conditions, est-elle pertinente ?» sont connues d'avance. Rémy Charest les résume en trois points:

1- Twitter et Facebook sont des illustrations parfaites de l'idée d'auberge espagnole: on y trouve bel et bien ce qu'on amène avec soi.

2- On n'y signale pas nécessairement les nouvelles les plus importantes (déjà reprises ailleurs) mais souvent celles méconnues.

3- À peu près tous les médias offrent des fils de diffusions sur les réseaux sociaux.

Si on tient compte du point 3, les journalistes devront purger leurs signets --ce qu'ils feront (source)-- car effectivement on peut suivre tous les médias dans les réseaux sociaux sans jamais passer par un intermédiaire.

Mais voilà, en ne suivant uniquement que les fils médias, ce serait manquer ce qui fait la particularité des réseaux sociaux --conversation, percolation en direct de l'information, empêcheurs de penser en rond, etc.).

De plus, pour éviter de dénaturer leur projet, ils devraient aussi exclurent leurs "intermédiaires informationnels" fiables habituels (iront-ils jusqu'à les bloquer si leur réseau de confiance cherche à les recontacter?).

Les nouveaux "intermédiaires" devraient provenir d'un nouveau cercle (ce qui est plus passionnant comme défi) et ils devraient éviter de rebâtir leur cercle déjà existant (ce qui est la raison de l'absence de téléphone et de carnets d'adresses).

La vraie essence du projet consiste à faire passer ces journalistes sous respirateurs informationnelles durant tout leur séjour et les sevrer des canaux habituels en ne s'abreuvant qu'à ce qui sera poussé dans les réseaux vers eux pour enrichir leur veille.
On commence à voir, maintenant, que ce sera moins une étude sur les réseaux sociaux que sur les réseaux journalistiques: ils seront en mesure durant 5 jours de mesurer tout ce qui leur manque "hors ligne" pour bien filtrer ce que qui est en ligne...

2- «Est-on informé de la même manière qu’avec les médias classiques ?»

On peut prévoir tout de suite qu'une des trois possibilités d'interprétations suivantes émergera à la suite de l'expérience (dépendant des intérêts et compétences personnels des "Robinsons des communications").

a. Les réseaux sociaux désinforment et ne sont pas pertinents (si on suit @oprah et @aplusk)
b. Les réseaux sociaux informent autant que les médias (si on suit @lemondefr et @nytimes)
c. Les réseaux sociaux complémentent bien les médias trad (si on suit @rue89 et @martinlessard) (joke ;-)

La réponse serait entre b et c. Les réseaux sociaux, contrairement aux journaux, sont des coquilles vides dont la valeur dépend de ce qu'on y bâtit.

Nos journalistes dévoileront plutôt la compétence "transmettrice" du réseau qu'ils ont bâti (c'est donc leur propre "représentation du monde" qu'ils ont construit plutôt qu'un quelconque portrait "des réseaux sociaux" at large).

Ils dévoileront aussi leurs compétences techniques et stratégiques, car la consommation passive d'information ne fait toujours qu'un temps:

  • Quels mots-clés (hashtag) vont-ils suivre sur twitter?
  • Quel groupe vont-ils suivre sur Facebook?
  • Comme vont-ils interpréter les signaux fiables pour hiérarchiser l'information?
  • Et puis, de quelle hiérarchisation est-il vraiment question ici?
Les médias n'ont plus le monopole de "gérer les agendas": les médias sociaux sont aussi un percolateur de "sujets d'actualité" (lire mon billet sur l'agenda-setting).

Alors, évidemment non, dirons-nous en guise de réponse, on n'est pas "informé de la même manière qu'avec les médias classiques".

La question à se poser aurait dû être plutôt «Quels sont les codes de reconnaissance sur lequel le journaliste se reposera pour décréter une information pertinente?»

3- «Comment se construit alors l'information ?»

Se constituer un réseau social fiable pour relayer une information de qualité exige temps et compétence. Les journalistes démontreront sans aucun doute leur savoir pour décoder "l'information de l'humeur". En se coupant de leurs pairs journalistes et en se fondant dans les réseaux sociaux, ils auront à rebâtir leur réseau de confiance.

Alors, pour répondre à la question, on doit se poser celle-ci : «Comment se forme les nouveaux réseaux de collaboration entre pairs reposant sur la confiance ?» Le court laps de temps (5 jours) pour rebâtir un réseau rend la tâche plus ardue, mais pas impossible (on verra pourquoi à la fin).

On aimerait bien connaître la façon qu'ils développeront pour discriminer les différents acteurs susceptibles d'entremettre des informations de qualité. Y aura-t-il une réelle collaboration dans le nouvel écosystème qui est maintenant en place entre des relais hors institutions et ceux qui les valident dans les médias classiques?

Il m'apparaît clair que l'usage de Facebook et de Twitter sera très différencié. Je pari sur la supériorité de Twitter pour piquer la curiosité (première ligne d'alerte) et sur Facebook pour donner un peu plus de contexte (Facebook en particulier pour le journaliste québécois qui a annoncé qu'il veut "tenter l’expérience sans sortir des deux sites" (Numérama)).

Au final, un Tweet avec un lien sera définitivement plus performant pour le but de l'expérience (s'informer), ne serait-ce que par son côté ouvert (une information relayée circule plus loin) et l'effet de chambre d'écho (on peut suivre un mot clé sans nécessairement être abonné à un fil).

L'Information se "coconstruit" en développant des affinités, des liens de confiance, basés sur les intérêts mutuels. On touche ici le thème l'identité numérique. Malheureusement, les règles imposées empêchent de valider en ligne, car il faut pour ça surfer.

On peut conclure

Ce sera plutôt «Huis Clos suivi de Les Mouches». Bon OK, le jeu de mots est ringard (Huis Clos de Sartre est souvent suivi par Les mouches dans les collections de poches), mais l'image est la bonne: ce huis clos numérique sera suivi par un essaim de lecteurs numériques.

Et ça, c'est l'ultime donnée non prévue dans ce projet: si la webosphère s'empare du phénomène, comme je l'ai signalé dans ma première mise en garde, il faudra composer avec un bombardement de messages de toute part. Mais seront-ils de l'intox ou de l'info?

- Intox: on peut s'inquiéter (à tort) que de fausses informations leur sera transmises pour les tromper. Mais pour ça il faudrait que tout le monde se mette de connivence. Or j'ai déjà souligné dans un billet antérieur à quel point les réseaux sociaux induisent une imputabilité de l'émetteur: quand je transmets une fausse nouvelle, c'est à tout mon propre réseau que je le transmets et non à une seule personne!

- info: je crois plutôt que le réseau abreuvera le réseau des 5 journalistes de plein de détails. Ils seront gavés d'info et n'auront que l'embarras du choix.

Si l'accès à l'information n'est plus un problème, alors la capacité de traitement de cette information sera le vrai défi: que leur restera-t-il à faire? "Ré-hiérarchiser" l'information! (lire Olivier Ertzscheid Twitter : le hiératique contre le hiérarchique). Dure tâche quand on est "coupé du monde" (des journalistes).

Mais quelle est la signification de faire du journalisme sans être avec des journalistes?

Ma foi, cela démontera qu'il n'existe pas de différence fondamentale entre les processus de hiérarchisation "amateur" et "professionnel". À compétence égale les deux feront tout aussi bien. Le journalisme se distingue seulement par son appartenance au groupe des journalistes qui ont le pouvoir de concentrer l'attention de leur (large) audience.

Mais dans le nouvel écosystème de l'information qui se met en place, et dont ce projet est une belle illustration, ce sera plutôt l'audience qui concentrera l'attention de ce (petit) groupe de journalistes...

L'équipe de Huis clos sur le net (stats en date de mercredi matin)

Communiqué Huis clos sur le net sur France-Info.
@HuisClosNet 0 tweets, 5 Following, 374 Followers,16 Listed
@HuisClosNet/lesjournalistes 295 followers de la liste

@Benjamin_Muller 142 tweets, 341 Following, 367 Followers, 38 Listed
@nicolaswill 12 tweets, 99 Following, 100 Followers, 12 Listed
@janictremblay 54 tweets, 256 Following, 245 Followers, 27 Listed
@zizou78700 53 tweets, 67 Following, 133 Follower, 20 Listed
@AnnePauleMartin 147 tweets, 154 Following, 195 Followers, 14 Listed
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Ma série de billets sur #huisclos (mise à jour 7 février 2010)
1- IVI: Interruption Volontaire d'Information : Décryptage. Où on repose les questions du projet (et y réponds).
2- Huis Clos J-1: Où peut-être on sent un petit flottement dans la préparation ou du moins l'annonce du projet.
3- Huis clos J+2: Où on effleure la difficile tâche de synchroniser les hiérarchies de l'actualité.
4- Huis clos : fin de parcours: Où un #boom permet de voir le travail de filtrage à l'oeuvre.
5- « Ce qu’on a découvert grâce à Huis Clos sur le Net » : Où on ne cache pas notre perplexité face à certaines "conclusions".

Du financement pour la web-télé au Québec!

Le Fonds indépendant de production (FIP) a approuvé un programme pilote de financement de séries dramatiques destinées aux plateformes de diffusion numériques!

«Dans un contexte où les sources de financement pour les webséries sans licence d’un télédiffuseur sont limitées, le soutien du FIP stimulera le développement de nouvelles formes de contenu.»

Bonne nouvelle!
La contribution aidera les producteurs indépendants à explorer des «formes narratives innovatrices pour la diffusion de séries dramatiques de grande qualité». Le FIP supporte les concepteurs de contenu Web à développer de la fiction sur les plateformes numériques.

Dates de dépôt 2010

31 mars Séries dramatiques pour le Web: Soumission de projets et Projets spéciaux

1er mai Séries dramatiques pour la télé et Projets spéciaux

15 octobre Séries dramatiques pour le Web (selon disponibilités de fonds),

Détails de soumissions de projets sont disponibles ic: www.ipf.ca

140 petites frappes dans le temple des médias

Les médias traditionnels se sont faits détrônés sur deux fronts : rapidité et quantité. Avec Haïti (et l'Iran, et Hudon River, et Mumbai...) qui ne voudra pas croire que les médias sociaux s'imposent comme un acteur de premier plan pour "écrire un premier jet de l'histoire qui se déroule"?

Les médias sociaux à l'assaut des médiasUn nouvel écosystème médiatique s'est mis en place. Avec Twitter, et autre micromessagerie, toute personne peut (potentiellement) "informer la planète" via un simple message texte. Les médias sociaux offrent un genre de "scoop", une nouvelle "brute" qui bouillonne rapidement et créent des remous, avant de passer dans les grands médias.

"Première ligne d'alerte", les médias sociaux ne court-circuitent les médias que dans les premières heures "d'un événement spectaculaire". Comme si les "nouvelles d'intérêts publics" étaient sélectionnées et prises en main par les principaux intéressés.

Couvrir l'actualité en son nom
Mais dans un micro-message de 140 caractères, qu'est-ce qui est transmis? 140 caractères ne produisent ni information ni analyse, au sens journalistique. Ce sont des "titres" d'une actualité en construction. Un nouveau sens doit être donné à "couvrir l’actualité brûlante" (ou plutôt "couver l'actualité" comme on dit "couver une grippe" ;-)

Si le micro-message est comme un court télégramme, alors c'est l'amoncellement de télégrammes qui remplit la fonction d'expliciter le contexte, de donner une certaine "dimension" à l'actualité qui se construit. L'information en réseau est une information en fragments, démultipliée, brute, authentique.

«Authentique» car Twitter a réussi une chose: l'imputabilité de l'émetteur.
Sur Twitter, on doit monter sa propre audience, un a un. C'est un dur labeur et chaque abonné ("followers") doit être mérité et est un labeur de chaque instant (cessez d'être pertinent, et on se désabonne).

Du coup, exit les spammeurs et autres trolls débiles. Pas qu'ils n'existent pas , mais ils ont plus de difficulté: quand ils "spamment", ils affectent leur propre réseau en fait. Qui veut "suivre" un spammeurs, un troll? Plus ils agissent, moins ils ont de "followers".

Ça ne garantit évidemment pas la validité d'un "tweet", bien sûr. Mais si vous montez patiemment votre réseau, vous vous créez une notoriété et une autorité que vous êtes tenu de maintenir le même niveau de crédibilité sous peine d'être rejeté rapidement. C'est votre identité en ligne qui est en jeu. On en a vu des exemples lors des "rumeurs" sur la mort supposée de Johnny et la mort cachée de Lhasa.

Greffe prise, rejet impossible
Les médias traditionnels s'adaptent tant bien que mal à cet ajout dans la chaîne. On a vu cette semaine deux chaînes de télévision importantes incapables de recueillir des interviews lives de première main sur le terrain des opérations de secours en Haïti parce qu'ils n'avaient pas Skype d'installé ou ne savaient comment les utiliser.

«Vous pouvez aider Haïti de l’endroit où vous êtes déjà.[...] Vous pouvez aussi faire des reportages sur Haïti via l’extérieur, avec l’aide des ressources locale déjà présente, sans engorger inutilement le théâtre des opérations.» raconte Michelle Blanc dans Internet Haïti – Les retombées positives d’un simple billet. On voit même des initiatives en ce sens (voir Pierre Côté en communication directe avec Haïti via Skype) en direct sur ustream.

Pour les journalistes, l'ajustement est en train de se faire. (J-C Féraud, a résumé à quoi ressemblerait un «kit de survie à l'heure de la révolution digitale» pour les journalistes). Il ne s’agit pas d'abdiquer bien sûr le rôle de validation de l'information. On s'attend à de la retenue tout de même de la part des médias traditionnels (lire à ce sujet Paul Cauchon dans le Devoir: Haïti, le défi médiatique).

Mais la greffe est prise. Il faut prévoir maintenant un bras de fer avec la possibilité que les journaux se referment derrière des portes payantes (voir la rumeur entourant le NYTimes), dernier mouvant de plaques tectoniques dans l'installation dans ce nouvel écosystème. Ce n'est pas une question de gratuit versus payant, mais bien bien d'économie du lien: comment hyperlier vers des portes payantes? Et surtout comment se faire remarquer dans un monde aux prises avec une surabondance d'information?...

NYTimes + iPad =$ ?

La rumeur circule depuis hier matin, New York Magazine rapporte que le New York Times tentera une fois de plus de faire payer les internautes. Tiens, juste à temps pour la sortie probable de la fameuse «tablette Apple» (qui est aussi une rumeur persistante depuis une semaine). Changement en vue?

Serait-on arrivé à ce tournant tant attendu où la fin de la récréation résonne? Le tout gratuit de l'info journalistique a-t-il fait son temps?

Le NYTimes avait tenté avec TimeSelect d'offrir un abonnement à certains chroniqueurs réputés, sans grands succès. Pourtant, le gratuit a amené le journal new-yorkais à devenir le journal de référence globale en langue anglaise. Remettre le contenu derrière un mur payant nuira-t-il à sa notoriété? Il semble que le temps est venu de faire payer le lecteur en ligne...

Le milieu, en mal de plan d'affaires, regardera attentivement l'expérience de près, à n'en pas douter. Mais il me semble que la sortie possible de la tablette Apple (iSlate? iPad) fait partie de l'équation. Si c'est le cas, faut-il s'attendre à une répétition de l'iTunes et de l'iPod (pour la musique) et de l'iPhone (pour la téléphonie)? Dans ce cas Apple prépare la sortie de chemin de Damas pour le contenu journalistique en ligne avec sa tablette.

Deux rumeurs, certes, mais leur cooccurrence semble trop bien arrimée...

[Mise à jour: La rumeur pour le NYTimes s'est avéré vraie, mais le portail payant est prévu pour l'an prochain seulement, janvier 2011.]
[mise à jour: j'ai changé le nom donné par la rumeur «iSlate» par iPad, maintenant que le nom est connu, question de ne pas mélanger le lecteur qui tomberait ici plus tard]

Avatarisation de Facebook

Facebook change ses paramètres de confidentialité, transformant les épais murs en minces parois de verre. Changez les conditions d'un environnement et vous verrez ses habitants changer leur comportement. Exit la sincérité, bienvenue aux avatars!

Facebook permet maintenant de voir TOUS les profils des membres à moins de changer ses paramètresFacebook s'est fait reconnaître pour une plateforme de socialisation fermée, où les échanges à l'intérieur n'étaient pas accessible sur Internet à moins d'être (1) membre de Facebook et (2) "ami" avec la personne (ou encore "ami d'amis"). Les changements de paramètres de confidentialité changent la donne et ouvrent à tout vent les contenus intimes de millions de gens.

Cette brusque lumière braquée sur nos échanges épistolaires numériques engendra une rapide «mise en scène» des profils au détriment d'une "franchise", peut-être naïve, mais créateur d'un véritable échange.

Facebook n’est officiellement plus un réseau social fermé, mais une plateforme sociale ouverte (lire Fred Cavazza, «Comment les nouvelles règles de Facebook vont modifier le comportement des utilisateurs», 13 janvier 2010).
«[ L]a confidentialité est un élément moteur dans la dynamique communautaire, changez les règles et vous changez la façon dont les utilisateurs vont se comporter» raconte Fred Cavazza dans un texte à la fois intelligent et intelligible sur le changement de stratégie radicale de Facebook.

«[...] Facebook a depuis le début affiché une volonté de privatisation des échanges, ce qui a participé à son succès pour en faire le lieu de rencontre et de partage de référence dans le monde. Mais maintenant la donne a changé : Les profils sont devenus publics par défaut et tant pis pour les informations personnelles et photos que vous avez publié il y a plusieurs mois / années», dit-il, en tablant sur le fait que peu de personnes iront changer leurs paramètres de confidentialité. Autrement dit, les paramètres «par défaut» ont changé, donc ne rien faire équivaut à accepter le changement.

«[...] la confidentialité est un élément moteur dans la dynamique communautaire, changez les règles et vous changez la façon dont les utilisateurs vont se comporter.» Quels comportements? D'échange épistolaire de l'intime ou du privé, la communication sur Facebook devient publique et un profil se transforme de facto en avatar.

Source des citations: Fred Cavazza, «Comment les nouvelles règles de Facebook vont modifier le comportement des utilisateurs»
Notez bien que la possibilité de retourner aux paramètres privés est possibles, mais sera sûrement peu suivi par la masse...

L'avatar, ambassadeur numérique de l'individu
On imagine souvent l'avatar comme une représentation fantaisiste d'une personne (voir les images associées, les pseudonymes ou les descriptifs dans certains profils de forums ou de plateformes de socialisation)

Mais on oublie que l'avatar peut être votre visage, votre nom et vos "status update": ils créent à eux seuls un avatar en ce sens qu'ils ne sont pas «vous», mais «votre représentation numérique».

L'avatarisation de Facebook signifie que les profils devenus publics auront tendance à contrôler leur image sur la place maintenant ouverte. De la même manière que vous contrôler votre image dans l'espace public.

Vous avez déjà un avatar
Il ne faut pas voir l'avatarisation comme un mal issu du numérique, ce phénomène existait bien avant (même s'il ne portait pas ce nom):

  • Votre CV est votre "avatar" dans le monde professionnel
  • Le choix de votre cravate, de votre robe, votre coiffure ou votre maquillage
  • La marque de votre voiture, votre marque de bière «préférée»
  • Vos sujets de conversation, vos intérêts dévoilés
Tous ces choix que vous vous faites en public révèlent qui vous êtes. Ou plutôt, il révèle pour qui vous voulez vous faire passer. Ensuite, l'adéquation entre le réel et le projeté est une autre affaire : la tension pour équilibrer la "véracité" dépend de la culture sociale ambiante (et changeante).

Mais vous devez reconnaître tout de même que vous avez déjà «avatarisé» votre image publique.

La maison de verre
En en discutant avec Patrick Tanguay dans les jours qui ont suivi la publication de l'article de Fred Cavazza, on remarquait outre l'incongruité du geste de Facebook (ils cherchent à se positionner sur le terrain de Twitter, le "real time", un beau cas inversé où c'est le Boeuf qui veut se faire plus petit que la grenouille), la communauté se retrouve sans réelle alternative:

où aller si on veut retrouver l'intimité des premiers temps sur Facebok? y a-t-il une autre alternative? Une place "publique" fédératrice qui permet des "alcôves d'intimité"?

Si plusieurs voient les réseaux sociaux comme une façon de se faire de la visibilité (en lien avec ce que je prône pour les professionnels), je crois, malheureusement pour Facebook, que puisque la grande majoritédu public ne s'y intéresse pas, il lâche du coup la proie pour l'ombre...

Un Pearl Harbor numérique?

La nouvelle est tombée en milieu de journée, hier, non pas sur les fils de presse ou via une conférence de presse, mais, signe des temps (s'il en fallait un supplémentaire), sur le blogue officiel de Google: A new approach to China révèle les détails d'une attaque cybernétique sur le réseau Google en Chine (et sa réponse). Très révélateur des changements à venir.

Avions se préparant pour un bombardemantComme pour beaucoup d'autres organisations internationales, les attaques de pirates cybernétiques sont courantes. Google a subi à la mi-décembre , apprend-on dans le billet signé par le Chief Legal Officier, une attaque d'une ampleur remarquable ("attaque très sophistiquée et ciblée [de taille]") sur ses infrastructures qui s'est révélées non pas être un incident de sécurité habituel, mais une attaque en règle et massive contre «au moins une vingtaine [d'autres] grandes entreprises».

À l'issue de l'attaque, il était clair, selon Google, que l'objectif premier des assaillants était l'accès aux comptes Gmail de militants chinois des droits de l'Homme. L'attaque semble avoir échoué. «Seuls deux comptes Gmail semblent avoir été consultés, et [...] l'activité était limitée aux informations des comptes (comme la date à laquelle le compte a été créé) et ligne d'objet, plutôt que le contenu des courriels eux-mêmes

Ouverture des hostilités
C'est ensuite que ça se corse, et vous verrez pourquoi cette attaque-surprise me semble un Pearl Harbor numérique.

Dans le cadre de leur enquête interne, Google a découvert que des comptes de divers usagers Gmail à travers le monde (et comme par hasard, des défenseurs des droits de l'Homme) ont été systématiquement «consultés par des tiers» (non pas à travers une brèche de sécurité chez Google, mais à travers de vulgaires «malware» installés sur les ordinateurs des personnes).

Google en a tiré une conséquence politique franchement hors de l'ordinaire. Il mettra carrément la clef sous la porte en Chine si le gouvernement de Pékin ne le laisse pas accomplir sa mission qui est d'offrir l'accès à toute l'information du monde.

Voir le monde de façon différente
Voici les résultats aujourd'hui sur images.google.cn (Chine) pour le terme «Tiananmen»

Recherche de Tianmen sur google.cn

Voici les résultats au même moment sur images.google.com (US) pour le même terme «Tiananmen»
Recherche de Tianmen sur google.cn
Aujourd'hui dans une société de surabondance d'information, rechercher sur le web n'est plus un simple acte technique, c'est une construction d'une représentation du monde et de l'état de ses connaissances à une question posée.

Ici on voit la préoccupation massive des Américains pour un événement géopolitique majeur et on voit que pour les Chinois, elle représente plutôt une information touristique. Ou plutôt, le gouvernement chinois avec ses règles de censures veut le faire croire. Et jusqu'à maintenant, Google y participait...

Chine éternelle
À l'aube d'une décennie naissante on remarque la montée en force de la Chine comme acteur global : après les jeux olympiques en 2008, leur succès dans la crise de 2009, sa victoire morale à Copenhague, et l'exposition universelle de Shanghaï bientôt) et la presse mondiale n'a pas manqué de pointer les inflexions subtiles mais significatives de la baisse de pouvoir des États-Unis face à son nouveau rival (Obama ne reçoit pas le Dalaï-Lama avant de se rendre en Chine; il traite à égalité le président chinois; s'assoie avec le premier ministre à Copenhague; sans compter le silence sur les droits de l'Homme à l'empire du Milieu).

Au moment même où plus aucun politique n'ose affronter le futur dirigeant de la planète, se complaisant dans une attitude si munichoise, on se demande qui va élever la voix et frapper sur la table pour dire que le roi est nu.

Hé bien, Google se lève, tape de rage et revient sur sa décision de "collaborer avec le gouvernement chinois" (voir leur profession de foi en 2006 (En)). Il menace carrément de fermer boutique en Chine si le gouvernement de Pékin ne le laisse pas accomplir leur mission.

Les marchants défendent les citoyens
J'avais déjà remarqué que le géant Internet se substituait de plus en plus à la tâche des gouvernements de protéger ses citoyens, particulièrement du côté de l'information et sa libre circulation.

J'avais écrit dans mon ( Etrangler net ), on se rappelle, que le gouvernement central de la marche nordique de l'empire américain laissait un membre de l'oligarchie local en télécommunication tenter de s'attaquer à la "neutralité du réseau". Google a dû défendre les Canadiens contre leur propre instance gouvernementale.

La liberté d'expression et Internet ne font pas bon ménage en Chine. Mais nos géants favoris -Google, Yahoo, Microsoft- s'y amusaient comme larrons en foire (voir mon billet You got jail ! ). Cette attaque-surprise sonne le glas du "non-interventionnisme" de Google, comme l'a fait Pearl Harbor à une autre époque pour les États-Unis.

Une logique de "guerre" s'enclenche et attendez-vous à une balkanisation du web lézarder Internet selon des lignes de fractures culturelles, politiques et économiques. On commencera par une bi-polarisation de l'imaginaire des mots-clefs...

Enjeu politique
Ce qui s'en suivra, car il ne fait nul doute que Pékin de bronchera pas, est que les marchants deviendront les derniers remparts de la démocratie.

En toile de fond, le capitalisme occidental et oriental s'affronte, sous l'oeil indifférent des nos politiques, pour défendre chacun une vision du monde opposé: l'économie supplante la démocratie comme outil de développement social, et l'issue n'est rien de moins que la pertinence ou non de la démocratie pour le bien-être de la population.

Inutile de chercher la poutre dans l'oeil du voisin, La Canada a déjà choisi son camp en fermant son parlement (lire Démocratie agaçante de Manon Cornellier et Le Parlement nuit à l'économie de Hélène Buzzetti dans le Devoir de ce matin).

Google défend bien sûr ses intérêts. Mais voilà que les droits de l'homme et la démocratie sont à la remorque des commerçants...

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Autres articles sur Zéro Seconde sur ce thème

Etrangler net (juillet 2008)
"Bell ralentit volontairement le trafic sur le Web. Et cette pratique est «illégale» selon Google, qui a officiellement demandé au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) d’intervenir."

Google et protection de la vie privée (mars 2006)
Google et la protection de la vie privéeUn juge fédéral a autorisé Google à ne transmettre qu'une partie limitée des informations que le Département de Justice américain exigeait.

Marchants et vie privée de masse (mars 2006)
Il est vrai que peu de gens portent attention aux questions de vie privée (tant que ça ne leur arrive pas à eux). Mais quand il s'agit de vie privée de masse, de mass privacy, il y a là matière à inquiétude.

Gdrive et privautique (mars 2006)
La privautique deviendra un enjeu collectif qui devra prendre plus de la place dans les prochaines années. Il ne faut surtout pas laisser les individus se défendre tout seuls... Les gouvernements doivent baliser le terrain, et ce, à l'échelle planétaire...

Projet de loi sur l'assainissement d'Internet (avril 2007)
«It's not fascism when we do it»

L'axe du moche (avril 2007)
L'axe Ottawa-Paris-Pékin : même projet de contrôle?

You got jail ! (Septembre 2005)
La liberté d'expression et Internet ne font pas bon ménage en Chine. Mais nos géants favoris -Google, Yahoo, Microsoft- s'y amusent comme larrons en foire. Déluge d'indignations.

3 jours de deuil sur l'internet chinois (mai 2008)
Les Chinois ont reçu un mot d'ordre : "Pas d'amusement public". Mais voilà, Internet subit aussi ce "black out". Et vous qui pensiez qu'internet était du domaine privé.

Pourquoi Internet ne sauvera pas Tiananmen de l'Oubli (juin 2009)
On peut être sidéré aujourd'hui de voir qu'à l'époque d'Internet, si peu de Chinois, surtout les jeunes, s'intéressent à cet événement charnière de l'histoire de l'Humanité. Internet peut-il jouer un rôle. Loin d'être sûr. Explications.

Logo JO des jeux de Beijing (août 2008)
Il y a de ces images qui restent gravées dans la mémoire comme taches d'encre sur une chemise. Comment détruire un logo en 15 secondes.

La poutre dans la caméra des médias (août 2008)
Les médias ne se rendent pas compte qu'ils sont en train de filmer ce qu'ils ont provoqué.

Réseauter en ligne: "no keyword, no candy"

«Réseauter en affaires : une habitude vieille comme le monde !» Mais réseauter en ligne est bigrement différent. Explorons.

réseautageOn se rappelle tous ces pénibles moments dans les cocktails où on sentait "la vente" venir: vendre son CV, vendre ses services, vendre ses talents ou sa compagnie. Pas étonnant que plusieurs pouvaient se vanter de n'entretenir aucun réseau, synonyme d'aucune compromission.

On associe souvent le réseautage à la fâcheuse manie de distribuer ou collectionner des cartes d'affaires

Le réseautage en ligne participe d'une toute autre logique: il ne s'agit plus d'exposer "qui vous connaissez", mais bien maintenant de montrer "ce que vous connaissez" et de "participer à l'échange de connaissance".

«Échange de connaissance»?! Quoi, mais que vend-on alors?

Avant le spécialiste disait: appelez-moi (et payez) pour savoir. La rétention de l'information était l'enjeu numéro 1. Je sais et tu ne sais pas. Paye.

Logique pas mauvaise en soi. Il faut bien vivre.

Mais par contre, dans un monde de plus en plus transparent, où le flux d'information dépasse tout ce qui a pu être imaginé auparavant, la rétention d'information constitue un suicide professionnel. Si vous ne dites pas ce que vous savez sur Internet, on ne vous trouve même pas ("no keyword, no candy").

Participer à la circulation de l'information devient vital, partager ses connaissances (montrer ce que vous savez ou partager ce que vous apprenez) devient un enjeu de taille pour se faire remarquer dans ce monde qui se syntonise de plus en plus sur les algorithmes en ligne. Google montre la voie: pas de contenu, pas d'indexation.

Mais alors que reste-il? Si on dit tout dans un blogue, Twitter, Facebook, qui va nous engager?
Apprenez par coeur cette comptine: ( ">" veut dire est «supérieur à»)

ce que je sais sera toujours > à ce que je peux dire
ce que je peux dire sera toujours > à ce que je peux écrire
ce que je peux écrire sera toujours > à ce que l'autre peut lire
ce que l'autre peut lire sera toujours > à ce que l'autre peut retenir
ce que l'autre peut retenir sera toujours > à ce que l'autre peut dire

Votre valeur tient à cet avantage marginal. Tout le reste n'est que commodité.
Ce qui est partagé aujourd'hui dans les réseaux sociaux, en particulier les réseaux professionnels, ce sont principalement des sources d'information. Mais la valeur reste dans la tête des gens, et c'est le savoir tacite - ce savoir "dans notre tête" que nous avons si souvent du mal à décrire et à expliquer.

Or dans une société de surabondance d'information, le savoir qui compte le plus est le savoir tacite, un type de savoir bien différent du savoir explicite qui lui peut être décrit et diffusé à tous: le savoir tacite ne circule pas facilement. Il demande une très grande "bande passante" de contexte et un bon pouvoir d'interprétation:

Que peut bien signifier un message comme «La stratégie emarketing du #hashtag sur Twitter http://j.mp/8vNZXt»? Il manque trop de contexte pour permettre à une personne hors du domaine de saisir de quoi il en retourne.

Le réseautage en ligne demande ce type de compétence. Il demande d'être en mode partage des aprentissage tout en créant une attirance: celui qui a posté le message plus haut (en l'occurrence Jean-Luc Raymond) exprime sa compétence par le choix du lien (parmi tous les liens possibles et innimaginables) et affiche son utilité (si je m'intéresse aussi à ce lien, il peut peut-être m'aider).

Le réseautage en ligne est en fait un apprentissage continue. En partageant ses connaissances (explicites --on a vu que les connaissances implicites sont difficile à partager) on montre un saine curiosité, un respect pour son audience (dans la constance et a qualité du partage) et même une capacité d'entraide.

En fait le jeu n'est plus un push (on poussait nos compétences dans les cocktails) mais bien un pull (ceux qui ont besoin de votre aide vous retrouveront). Ils se "pré-sélectionnent" d'une certaine façon: s'il n'aiment pas ce que vous diffuser, ils ne vous appellent tout simplement pas...

C'est pour ça que LinkedIn, excellent rolodex de CV, mais très "réseautage 1.0" (il faut "pousser" pour accéder à un réseau) a opté pour la fonctionnalité Question/Réponse: au delà de l'accès à des listes de "compétents" (à travers leur pedigree) on peut juger de leur "compétence" à travers la ou les réponses que la personne donne.

Réseautage en ligne et ses trois avantages:

- Le processus rédactionnel contribue au développement de la compréhension.
- La participation aux échanges de flux informationnels augmente la visibilité et la pertinence d'une personne dans son milieu.
- L'apprentissage en retour nourrie le savoir tacite que l'on possède.

Et c'est le savoir tacite qui a de la valeur!
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Compléments de lecture

Networking reconsidered, Harvard Business Review, John Hagel III and John Seely Brown.
(4 janvier 2010) Comparaison entre le réseautage traditionnel et en ligne

Vie privée : le point de vue des “petits cons”, InternetACTU, Jean-Marc Manach
(4 janvier 2010) Grand tour d'horizon sur le partage sociale (non-professionnel) des jeunes adolescents

Mes outils web 2.0, Rémi Thibert
(21 décembre 2009) Exemple de partage d'un enseignant: les types d'outils en ligne qu'il utilise

Social Networking: Rethinking Productivity, Steve Pavlina
(23 novembre 2009) Autre exemple de partage: sur les avantage de faire du réseautage sociale

Les 3 catégories de réalité augmentée

Alors que nous réserve de nouveau alors la décennie naissante? Il sera moins du côté médias sociaux (c'était la précédente décennie) que du côté de la « réalité augmentée » où «des objets communicants rendra poreuse la frontière entre le réel et le virtuel, connectant données et les choses, les humains et leur environnement»

Réalité augmentéeAprès l'internet des communautés, c'est l'internet ambiant des objets communicants. En 2010, attendez-vous de voir continuer à déferler la vague de la « réalité augmentée » dans le grand public.

J'ai écrit un article sur le sujet dont la première partie est sortie aujourd'hui sur RézoPointZéro: «Nouvelle décennie, nouvelle révolution : la réalité augmentée (1/2)»

La réalité augmentée, mot générique, (augmented reality en anglais) est aujourd'hui employée de façon plutôt flottante et regroupe divers sens.

Par opposition aux simulateurs et autres cinémas 3D, la réalité augmentée utilise une faible bande passante, une basse définition, un usage constant du réseau (via la webcam notamment) et du cellulaire (via les téléphones de dernières générations).

C’est ce qui la distingue des précédentes innovations plus immersives (et très lourdes).

Virtuel et réel
InternetACTU l'appelle aussi web au carré - pour reprendre l'expression de Tim O'Reilley (Web Squared) - pour évoquer l'évolution géométrique d'Internet. Oubliez le web 3.0, simple incrémentation, nous passerons au web au carré: une communication à deux sens entre le virtuel et le réel. «Nos outils numériques décuplent les infos en enrichissant le contexte de notre environnement physique, et notre monde influence la façon dont les données interagissent entre eux»

Les applications sortent enfin des laboratoires et des ateliers d'artistes où elles ont été développées depuis plusieurs années pour devenir accessibles au commun des mortels. Certaines utilisations sont encore anecdotiques, mais le potentiel est là.

Fille de la réalité virtuelle, les applications de la réalité augmentée se regroupent en trois catégories qui se recoupent partiellement.

Vidéo qui explique la distinction entre la réalité virtuelle et augmentée (Anglais, 2 minutes)


Les trois catégories de réalité augmentée

1- Explorer le 2D en 3D: la première catégorie explore le potentiel de simulation de l'ordinateur via de nouvelles interfaces. On déclenche à l'écran des animations semi-autonomes via des capteurs visuels (webcam). Elle permet l'affichage d'information 3D à partir de code 2D et « augmenter » l'information disponible

2- Explorer le 3D avec le 2D: la deuxième catégorie touche la surimpression de données en ligne au monde ambiant. C'est l'exploration du réel via de l'information ajoutée au contexte. Elle permet de rendre les lieux « parlant ».

3- Connecter les objets et les bases de données: la dernière catégorie recoupe l'interconnexion des bases de données et des objets dans notre monde. La mise en commun massive d'information (de « statuts ») d'objet communiquant rendant la caduque la séparation en-ligne et hors-ligne. Les objets utilisent le réseau pour s'informer sur l'environnement et lui donner des rétroactions.

Ces trois catégories représentent chacune un potentiel d'innovation, une nouvelle course à la recherche et développement qui sera similaire à celle de l'invention du web (1990-2000) et des réseaux sociaux (2001-2009).

Pour de multiples exemples, voir la suite de mon article sur RézoPointZéro: «Nouvelle décennie, nouvelle révolution : la réalité augmentée (1/2)»

Voir aussi sur InternetACTU:
Le rôle des objets et le rôle des hommes
La réalité continue : utiliser le virtuel pour approcher la réalité au plus près
et les 4 articles critiques sur le web au carré (Web²)

Image (CC) Superbomba

Gestionnaire de communauté à la hausse

Vous aussi, vous avez dû voir passer de plus en plus de demande de ce genre: "recherche gestionnaire de communauté" (ou "Communauty Manager" ) ou "animateur de réseau" ("Network Gardener"). Un job en demande (mais pour combien de temps?)

Jacques Froissant donne une courte (et bonne) description:« "The Community Builder" ou "Community Manager" : [...] son principal objectif est de connecter les gens qui partagent un même centre d’intérêt (en relation avec la marque) et d’animer les communautés ainsi constituées. La marque, projetée au cœur des conversations, en tirera nécessairement des bénéfices en termes de visibilité, de notoriété ou de retour commercial.» (source)
Il me semble que ce type de poste (ou de compétence) est à cheval entre les RP, les communications et la bibliothéconomie. Peut-être aussi le marketing, mais je ne crois pas, pour ma part, que ce soit une bonne idée (l'animateur doit savoir posséder une authentique crédibilité). J'ajouterai peut-être journalisme ou animation communautaire. L'écriture est souvent au coeur de cette compétence.

Par contre, je parie que ce poste sera plus un job de management : à terme il y a une équipe de qui sera affecté à la veille réseau, comme il existe une équipe de téléphonistes. Le "web communauty management" deviendra rapidement à mon avis un job très similaire au "télémarketeurs". Mais axé sur l'écoute plutôt que l'intrusion. Pour l'instant, un poste haut de gamme, mais à terme il devra être entré-de-gamme. Peut-être même 'outsourcé' dans des pays tiers...

Protégez vos enfants des nouvelles addictions

Cette décennie qui commence verra dans l'adoption massive de la culture numérique un des grands changements majeurs pour les civilisations avancées. Elle se répandra à travers la plupart des couches de la société, relayée par les nouveaux journalistes affranchis de leur peur atavique du web.

http://www.flickr.com/photos/rutlo/3532951266/Pour entrevoir le saut culturel que nous allons vivre, je vous invite à lire le message "inquiétant" du psychologue clinicien Yann Leroux qui mets en garde les parents contre l'usage incontrôlé du off-line ("Les nouvelles addictions"):

«Depuis quelque temps [...] dans les cours de récréation, on ne joue plus à Nintendogs ou à Legend of Zelda mais au Loup ! Les enfants se courent après et doivent s’attraper. Pris dans l’excitation du jeu, il arrive que certaines saisies et certaines poussées soient trop brutales et, inévitablement, les cas d’accident se multiplient.»

«Il n’y a rien de moins créatif que ces jeux», dit-il, et les parents devraient s’alarmer de ce que leurs enfants se détournent ainsi de «ce qui consiste le cœur de nos sociétés». C'est-à-dire la culture numérique.

Ironique à souhait, brillant dans sa parodie, Yann Leroux reprend nos travers quand il s'agit de critiquer la culture numérique d'aujourd'hui.

La culture numérique est arrivée
Pourtant, l'informatique a franchi un formidable pas dans la dernière décennie (j'ai écrit récemment que la montée des médias sociaux constituait la nouveauté des derniers 10 ans sur Internet) en montrant qu'elle n'isole plus les individus, mais les réunissait davantage.

On ne dit plus «Internet», le «web» ou le «net», mais bien «réseau», comme dans «réseaux sociaux numériques». Le tabou est tombé, le réseau n'est plus une «dépendance néfaste»; la culture numérique peut commencer à se diffuser (lire mon billet Péché originel des réseaux sociaux numériques et Révolution rhétorique?).

«Ce qui est au cœur de notre culture, c’est la complexité, et c’est de cette complexité que le numérique est à la fois le vecteur et l’image.
Une simple quête de Legend of Zelda ou de World of Warcraft fait surgir succession de quêtes emboîtées les unes dans les autres. Il faut se souvenir des lieux, de la chose à faire, des personnages. Il faut construire la narration, il faut élaborer des hypothèses, il faut construire des stratégies. La complexité augmente encore lorsque l’on joue en multijoueur puisqu’il faut accorder les délicats mécanismes sociaux pour pouvoir réussir la quête.
»

En situant son discours dans un monde où le retour au off-line est pratiqué par les plus jeunes, Yann Leroux parodie les bien-pensants qui paniquent dès que de leurs jeunes ne font pas comme eux: «Voilà que maintenant des enfants tournent le dos aux apprentissages premiers de la complexité [numérique]? Quels types d’adultes est ce que ces enfants deviendront ? »

Lire la suite sur Psychologik : Les nouvelles dépendances, par Yann Leroux...