ZEROSECONDE.COM: décembre 2012 (par Martin Lessard)

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Impacts du numérique sur la communication, notre société, nos vies.

Québec: une immunité techno-virale?

Michelle Sullivan publiait cette semaine (ah, heureusement qu'il y en a qui bosse!) un petit résumé des statistiques que Rogers a amassé sur les Québécois en 2012.  C'est sur un joli tableau ici, sur son billet.

J'ai retenu deux faits.  Il semble que le Québec réagisse différemment des autres à deux phénomènes viraux dans deux sphères bien différentes. Je ne parle pas de la grippe. Mais de mode virale.

Commençons par la première statistique.

28% des Québécois ont visionné Gangnam Style

Je n'aurai jamais pensé que quelqu'un poserait ce genre de question dans un sondage: ne reculant devant rien, Rogers l'a posé pour nous!

Donc, oui, c'est 28% des Québécois qui ont succombé au vidéo viral! Tiens, tiens, à peine 1/3. Moi qui croyais que tout le monde, jusqu'à Saint-Élie-de-Caxton, dansait sur la K-pop! Bon, Ok.

Faisons alors un peu de statistique croisée, question de voir ce qu'on peut en tirer d'autres.

Le Québec compte 8 millions d'âmes au pays (selon L'ISQ), alors, on peut estimer qu'environ 2,25 millions de Québécois ont visionné la vidéo virale. (Nota, environ 80% des Québécois utilisent Internet (selon CEFRIO) donc c'est 35% des internautes Québécois qui ont visionné la vidéo virale).

Sachant qu'Internet compte 2,5 milliards d'Internautes (selon IWS), et qu'il y a un milliard de visionnements sur la vidéo de PSY sur YouTube (selon Google), c'est donc, grossièrement, 40% des internautes mondiaux qui ont vu la vidéo.

De ce nombre, donc, 0,2% de ces visionnements seraient dus à mes compatriotes.


Évidemment, ce sont des calculs théoriques:

  • (a) une personne pouvant être compté deux fois par YouTube et 
  • (b) les pays sous-développés, ainsi que les pays techno-ermites, comme la Chine ou l'Iran, sont comptabilisés dans la population d'internautes mondiale, mais n'ont pas (toujours) accès à YouTube pour des raisons de censures ou de bande passante.

Mais ce qui est vraiment étonnant, c'est que la statistique pancanadienne, elle, montre que c'est 43% des Canadiens qui ont visionné cette même vidéo (selon Rogers)

Donc, si on retire les Québécois du lot, c'est presque 1 Canadien sur 2 qui se serait adonné aux joies du visionnement de la vidéo la plus virale de tous les temps. (Ce sont les provinces maritimes qui ont le plus écouté la vidéo, avec 48% --les stats de Rogers sont plus précises et séparent par genre et âge).

Les Canadiens ont été environ deux fois plus «infectés» que les Québécois, soit environ 13 millions, si mes calculs sont bons. Les Canadiens ont plus visionné la vidéo que la moyenne mondiale, et les Québécois moins.

Et selon l'âge, sans surprise, c'est près de 86% de tous les Canadiens âge entre 18 et 26 ans qui ont écouté la vidéo. Les jeunes clairement adorent -- les 55 ans et plus, beaucoup moins avec seulement 19%, pancanadien.

Cette vidéo étant le viral la plus rapide et la plus fulgurante de tous les temps, elle donne une certaine indication de la pénétrabilité virale selon les cultures à travers le monde.

Une certaine tolérance à la musique pop, au kitch/ridicule, à la parodie est nécessaire pour apprécier et partager cette vidéo. La culture anglo-saxonne y serait-elle plus perméable, et la québécoise (francophone?) y carburerait moins?


À l'émission La Sphère de samedi dernier, Matthieu et Catherine se sont vantés en onde de n'avoir jamais vu la vidéo et se sont bien promis de ne pas l'écouter. Je n'en ferais pas une règle générale, mais ça donne une piste de réflexion: est-ce qu'il serait possible que les Québécois soient ainsi immunisés contre ce type de viral par pure méfiance de ce qui est un viral venant d'ailleurs, une distraction puérile, un vain jeu sociale sans pertinence?

À mon avis, Gangnam Style est incompréhensible si on ne voit pas aussi l'écosystème des parodies qu'il a généré. Vouloir visionner à froid la vidéo de PSY génère plus de questions que de plaisir. C'est l'effet qui accompagne la vidéo qui lui donne une aura. Les Québécois n'ont peut-être pas le même sens de l'humour. Ils sont en tout cas résistants à ce virus venu d'ailleurs.

Passons à la statistiques plus sérieuse.

74% des Québécois croit qu'en 2013, plus de gens seront sur le mobile


J'adore ces sondages qui sondent le plus sérieusement du monde des gens pour connaître les tendances de demain. Toutes les questions sont bonnes à poser!

Donc, les 3/4 des Québécois pensent que plus de gens seront connectés à Internet par le mobile.

Je ne crois pas qu'il faille demander à qui que ce soit de penser quoi que ce soit des tendances de connexion de 2013. C'est 100% sûr que davantage de gens seront sur le mobile l'an prochain!

Que monsieur ou madame Tout-le-monde pense pareil ne prouve qu'une chose: que le message des gourous internet, des journalistes technos et des marchants de bidules électroniques s'est bien rendu à leurs oreilles! Comment peuvent-ils autrement connaître ces statistiques?!

Non, la vraie surprise, c'est que 20% ont répondu non. Non, ils ne pensent pas que plus de gens seront connectés à Internet via un mobile. Mais sur quelle planète vivent-ils? Quoi? Le marché des smartphones serait saturé au pays? Non! Au mieux, cette statistique montre que les répondants à cette question sont incompétents -- mais comment peut-il en être autrement, de toute façon?


En fait, la seule façon de comprendre cette statistique, c'est de la voir comme étant une "intention d'achat" d'un smartphone (on projette sur la société ses propres désirs ou ceux de son entourage).

Là, ça devient clair! : seulement 76% des jeunes Canadiens entre 18 et 24 % pensent que plus de gens seront connectés à Internet par le mobile contre 82% chez les 55 ans et plus. Rogers sait maintenant où se trouve son segment le plus prometteur. Un smartphone n'étant pas à la portée de toute les bourses, plus de jeunes prendront leur mal en patience.

Mais quand on remarque la différence entre les provinces, on découvre autre chose. La moyenne canadienne est de 80% contre 74% au Québec. Est-ce qu'on doit comprendre que la vague mobile sera moins présente au Québec qu'ailleurs en 2013?

Le Québec semble, autant du côté mobile que du côté de vidéo, ne pas suivre le même rythme que le reste de la planète techno. Une certaine immunité techno-virale peut-être...

Avez-vous des pistes d'explications?

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Pour plus de statistiques, consultez directement le Powerpoint sur Slideshare.

Gangnam style franchit le cap du milliard de vues

Le cap a été franchi aujourd'hui, juste à temps pour cette fin du monde, celle que l'on fait dire à la prophétie attribuée au calendrier maya, qui est vraisemblablement fausse, puisque j'arrive à poster un billet ici et vous à le lire.

Je vous en avais glissé un mot, quelques jours avant que la vidéo ne dépasse finalement l'ex-king de YouTube (Justin Bieber) et depuis il a continué son ascension vers le record de tous les temps. (Lire mon billet  Gangnam Style: la K-Pop comme mème virulent).



Pour qu’une vidéo devienne virale, il faut que celui qui la regarde « contamine » au moins une autre personne (en bas de 1, « l’épidémie » se résorbe d’elle-même).

Actuellement, de façon purement arithmétique, on peut émettre l'hypothèse que, grosso modo, la moitié des internautes ont vu la vidéo (1 milliard sur 2 milliards d'internautes). J'arrondis grossièrement.

Donc, on peut induire que la moitié "non-infectée" va vouloir connaître ce que l'autre a vu. Et donc que la montée en flèche de Gangnam Style ne s'arrêtera pas en si bon chemin et ira probablement encore plus loin, beaucoup plus loin (mon pari: le 2 milliards en 2013). Une "explosion virale", quoi!


Évidemment, les "vues", ne sont pas des "visiteurs uniques", donc il serait hasardeux de dire que "tous les internautes ont/vont danser sur Gangnam Style".

C'est le souhait candide que je proposais en sous-texte dans mon '"conte de Noël techno", hier dans mon autre blogue, Triplex, sur les serveurs de Radio-Canada.
L’interconnexion d’Internet permet de se retrouver dans la même tribu, le temps d’une vidéo.

Par delà les temps immémoriaux, rappelons-nous que nous étions tous, une fois, dans la même tribu primitive qui s’apprêtait à quitter le continent africain.

Jadis, il y a 80 000 ans, autour du feu, on était réunis tous ensemble pour danser une dernière fois avec les autres membres avant de se séparer et conquérir la Terre.

Avec la mondialisation, nous nous retrouvons de nouveau, tous réunis, et dansons ensemble avec notre tribu enfin retrouvée, après un long, très long voyage…
Mais il sera plus probable que ce soit le premier milliard d'internautes qui souhaitent plutôt revoir la vidéo durant le temps des fêtes pour justement danser!

Si c'est le cas, l'explosion vers le 2 milliards arrivera bien plus vite qu'on le pense!

[vidéo] Comment tirer profit des médias sociaux

Guillaume Brunet nous explique comment les petites entreprises peuvent tirer profit des médias sociaux.

Vidéo de Génération INC.

Plus d'information sur le livreLes médias sociaux en entreprise : les comprendre, les utiliser et en tirer pleinement profit” coécrit par Guillaume Brunet, Marie-Claude Ducas et moi.

Pamphlet en 140 idéogrammes

«Les 140 caractères vont pour l'esprit de la langue anglaise. Pour le français, il faut 160. Ne me colonisez pas :)»

Lancé par Yves Lanthier la semaine dernière sur Twitter, à propos de la contrainte d'espace sur cette plateforme, me fait rappeller que certaines langues sont effectivement avantagées.

J'avais déjà écrit un billet sur le sujet: Twitter en chinois.

Pour un Chinois, tweeter en 140 caractères n'est pas du tout une contrainte.



La traduction :
«La Chine, ici, est géniale, tant que l'on comprend, s'adapte et utilise correctement les règles tacites. Pourvu que vous vous n'en fassiez pas si le système politique est barbare, immature, sans contrepoids et à l'avenir incertain; si vous fermez les yeux sur une primauté du droit non appliquée, l'absence de justice, l'iniquité dans la société, et la disparité des richesses; si vous n'avez pas besoin de liberté d'expression, de liberté de croyance, d'être à l'abri de la pauvreté, ou de la peur; et si vous ne vous souciez pas de l'épuisement des ressources, de l'effondrement de l'environnement, et de la pollution de l'air, de l'eau et des sols. Eh bien, c'est le paradis.»
Tweeter avec des idéogrammes a bien des avantages. Twitter n'est plus un média d'interpellation, mais devient un média pamphlétaire.

Daily d'initiés

The Daily is out. C'est cas de le dire. La dernière édition sera mise en ligne le 15 décembre. Autopsie.



L'expérience journalistique sur la tablette a tourné court. The Daily, du magnat Murdoch, était le premier quotidien exclusivement sur tablette, planche de salut espérée du journalisme.

J'écrivais en mars 2011 sur mon autre blogue, Triplex, que si, sur l’iPad,  «The Daily offre une [bien] meilleure mise en page qu’un site web, il n’a pas démontré sa capacité à intégrer le nouveau mode de consommation de l’information (partage, annotation, commentaires, filtrage social…).»

Le projet n'était pas mauvais au départ. Bien financé, bien staffé, il avait tout pour plaire. Tout? Non, car il lui manquait cette compréhension de la culture du contenu numérique: tout, tout le temps, tout de suite.

Alain Gerlache le résume très bien:
L’erreur de départ, c’était de n’être présent que sur une seule plateforme, la tablette. Or, selon Jeff Sonderman, un expert du Poynter Institute, les utilisateurs de tablettes sont, je cite, des « omnivores numériques ». Ils sont très polyvalents. Leurs médias favoris, ils veulent les consulter sur tous les supports, et passer de l’un à l’autre : les tablettes, mais aussi les téléphones intelligents, les ordinateurs et même le papier.
Publié une fois par jour et non en continu (sauf la section sport), la seule différence avec le papier est qu'il ne tachait pas les doigts.

Dans un journal près de chez nous

Ici à Montréal, les regards se sont tournés vers La Presse.


On sait qu'ils préparent un «plan iPad». Heureusement pour eux, et contrairement à Murdoch, ils partent d'une marque connue. La Presse jouit d'une bonne réputation dans ce bastion francophone en Amérique du Nord

Est-ce suffisant pour passer au tout-numérique? L'expérience du Daily illustre en tout cas qu'il ne faut pas se limiter à une seule plateforme.

La Presse, de grand journal dans un marché étroit (il n'y a que 4 quotidiens à Montréal), deviendra une petite application dans un océan de 1 million d'apps...

Pour rester top of mind, la pertinence doit être au rendez-vous.
«Si vous appelez un journal The Daily, vous devez trouver le moyen d'en faire un média à lire absolument chaque jour, ce qui veut dire un contenu différencié» - Ken Doctor, spécialiste américain des médias, du blog Newsonomics. (propos rapportés par Xavier Ternisien du Monde)
Les causes d'un échec

Il y a probablement plusieurs raisons à l'échec du Daily.


- Coûts trop élevés (base de lecteur trop faible)? Peut-être, mais à 100 000 abonnés, plusieurs journaux s'en seraient très bien contentés.

- Prix au numéro pas assez élevé? 40$ / année était peut-être trop bas, mais la publicité aurait pu combler la différence

- Contenu peu attrayant? L'équipe de rédaction était au contraire de haut niveau. L'angle, alors? Peut-être, Murdoch, c'est NewsCorp, ne l'oublions pas.

- iPad seulement? À la fin, ils étaient aussi sur Android et sur les téléphones mobiles.

- Un ensemble de tout ça? Fort possiblement. The Daily ne doit pas être pris comme l'ultime essai indépassable d'un quotidien sur une tablette. Le contenu a probablement plus fait de tort que le contenant.

La plupart des critiques s'entendent à dire que le manque de moyen pour partager les nouvelles a joué pour beaucoup.

Partager les nouvelles offrent deux avantages.

1- vous connaissez ce que les lecteurs lisent réellement (ou du moins ce qu'ils pensent que leur réseau personnel devrait lire) et il est possible ensuite de répondre mieux à la demande

2- vous permettez à votre marque et vos contenus d'être découverts. Dans un monde de surabondance d'information, la "découvrabilité" est un avantage concurrentiel énorme.

Mais il y a tout de même une chose que personne n'ose dire de front: si Murdoch a lâché The Daily, ce n'est pas qu'il ne faisait pas d'argent (par simple arithmétique, j'arrive à 4M$/an comme revenu pour ce projet), c'est qu'il n'en faisait pas assez.

Les financiers lâchent les journaux parce qu'ils ne font pas assez de cash. Les années de vaches grasses sont derrières eux. L'osmose avec le monde de la publicité ne tient plus.

Un modèle de frugalité est à explorer. Bonjour Le Devoir.

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais si j'étais un regroupement de journalistes, je commencerais à regarder de ce côté.

À lire:

What The Daily Got Right From Day One, TechCrunch
Scale, tablets, and what to take away from The Daily’s failure, Nieman's lab

The impossibility of tablet-native journalism, Felix Salmon
3 Theses About The Daily's Demise, The Atlantic
Throwing the bathtub out with the bath water, MacWorld
Why The Daily Failed, And What Rupert Murdoch Should Have Launched Instead, ReadWrite