ZEROSECONDE.COM: septembre 2012 (par Martin Lessard)

ZEROSECONDE.COM

Impacts du numérique sur la communication, notre société, nos vies.

L'autorité qui augmente

«La hiérarchie est animale, il n'y a pas de doute là-dessus», déclare Michel Serres, auteur prolifique et professeur à l'université Stanford, dans son billet sur LePoint.fr de vendredi il y a deux semainesHeureusement, avec les technologies émergentes, une nouvelle démocratie du savoir est en marche, dit-il. Mais dites donc! Serait-ce qu'avec les réseaux, cet appréciable philosophe aurait (re)découvert la wirearchy de Jon Husband?

En quelque sorte, oui.



Wirearchy, est un néologisme de Husband depuis, créé il y a plus d'une décennie, pour nommer cet aplanissement des hiérarchies, en entreprise et dans la société en général. La communication dite horizontale, avec ses paires, devient non seulement praticable, et à moindre coût avec les nouveaux outils des médias sociaux, mais aussi essentiels.

Serres, lui s'attarde moins à la structure qu'à l'impact à son sommet. Là où Husband soulignait la «mutation de l'hiérarchie», Serres s'attarde sur la «crise de l'autorité» qui en résulte. L'autorité doit muter!: «L'autoritarisme a toujours été une tentation des sociétés humaines, ce danger qui nous guette de basculer très facilement dans le règne animal.» dit-il.

La culture humaine a remplacé le schéma animal, selon Serres. Le mot "autorité" en français vient du latin auctoritas, dont la racine se rattache au même groupe que augere, qui signifie "augmenter". Si la  «morale humaine augmente la valeur de l'autorité» alors celui qui a «autorité sur moi doit augmenter mes connaissances, mon bonheur, mon travail, ma sécurité, il a une fonction de croissance».

L'autorité aujourd'hui n'est pas out, il a juste subi une mutation!

«La véritable autorité est celle qui grandit l'autre.» 

Serres affirme que le mot "auteur" dérive de cette «autorité qui augmente». Un auteur se porte garant de ce qu'il avance, il en est responsable. «[S]i mon livre est bon, il vous augmente. Un bon auteur augmente son lecteur.»

Rappelons ici que Serres est aussi l'auteur du petit livre sur La Petite Poucette (tiré d'un discours qu'il avait fait, disponible ici en PDF), cette mutante qui consulte et communique le savoir du bout des pouces. De l'essor des nouvelles technologies, il en conclut qu'un nouvel humain est né.

Avant l'accès «à tout», dans le sens que j'ai abordé la semaine dernière, suite aux réflexions d'André Gunthert (lire Internet comme sixième sens), les auteurs, professeurs, journalistes, bref les autorités pouvaient, devaient assumer une présomption d'incompétence à l'égard de leur audience, rappelle Serres.

Il préconise au contraire, pour la société d'aujourd'hui, une présomption de compétence, car chacun est en mesure de faire ses propres recherches sur Internet. L'autorité n'étant maintenant là que pour "augmenter" les compétences des son audience, des ses élèves, de ses patients, des ses lecteurs. etc.

L'autorité cognitive en question

Mais dès que l'on parle des mutations causées par Internet, les penseurs redisent finalement les mêmes choses, n'est-ce pas?

J'avais abordé cette importante question il y a déjà une demi-décennie: quand on accède sur le web à autant d'information diverse (et contradictoire) cela nous donne une meilleure vision du monde (certes!), mais elle passe de plus en plus à travers des connaissances de "seconde main" -- l'écrasante majorité de ce qu'on sait sur le monde ne vient plus d'une expérience directe avec celui-ci.

J'avais donc rapidement fait remonter l'idée que les autorités cognitives allaient devenir un acteur important dans la société. Plus de détail ici sur ce qu'est l'autorité cognitive.

En quelques mots, une autorité cognitive est cette personne vers qui nous nous tournons pour nous donner l'heure juste dans une sphère d'expertise que l'on croit être la sienne. Ce ne sont pas nécessairement les experts d'un domaine (on a pas toujours accès à un expert), mais il a notre confiance pour répondre à des questions ouvertes.

Serres me donne l'occasion de définir ainsi le rôle de cet autorité cognitive (et toute autorité, politique, scolaire, professionnelle): celui de fournir un cadre cognitif à une personne pour lui permettre de mieux remplir son propre rôle (ou son destin) ou régler une problématique quelconque.

Une autorité est adoptée (remarquez ici l'inversion: l'autorité ne s'impose pas) quand son apport permet à une personne d'espérer atteindre un objectif.

Le journaliste comme autorité.

En animant mercredi prochain un atelier Projet Columbus sur l'arrimage entre les medias de masse et ceux dits « sociaux », on se questionnera sur les promesses et les déceptions cette révolution. On y abordera, entre autres, ces signaux faibles qui sont pourtant riches de potentialités et méritent d’être entendus et mis à contribution.

Ces signaux faibles viennent entre autre des lecteurs et de la population en général. Jusqu'à un certain point, l'information remonte de la population jusqu'au journaliste.

Mais quand on voit des débats qui traduisent un éloignement culturel croissant entre les élites et la «populace», et choque Cyrille Frank (un titre dans Le Monde illustrant une attitude condescendante envers le lectorat), il n'est pas insensé de réfléchir à ce que dit Serres.

La responsabilité des élites, et des autorités en particulier, est celle de faire grandir l'autre.

«It's full of lasers»

On a appris cette semaine que des scientifiques de l’Université de Cambridge (Angleterre) ont réussi à imprimer des lasers en utilisant des imprimantes à jet d’encre ordinaire.

Les micropoints d’encre sont déposés sur une surface spéciale par l’imprimante à jet d'encre modifié et quand ces micropoints sèchent, ils deviennent de petits lasers.

Entendons-nous. 
Un laser, c’est un faisceau de lumière concentré d'une longueur d’onde précise (une couleur). On trouve des lasers un peu partout: lecteur DVD, scanneurs de supermarché, équipement chirurgical.

Tous les lasers ne sont pas ces machines de guerre qui coupent le métal. Les lasers ici fabriqués ne sont pas de grande puissance.

Plusieurs façons de fabriquer un laser existent. Une d'entre elles est d’utiliser des cristaux liquides, une matière qui combine des propriétés d'un liquide conventionnel et celles d'un solide cristallisé, comme on en trouve dans les écrans de télé ACL (Afficheur à Cristaux Liquides) ou LCD en anglais (Liquid Crystal Display).

Comment ça fonctionne
On prend une imprimante à jet d’encre ordinaire avec une cartouche remplie de ces cristaux liquides et on imprime sur une surface humide faite d'un polymère spécial.

Quand le tout sèche, les molécules du cristal liquide s’alignent parfaitement pour former un point (1/4mm) qui devient un petit laser individuel. 




C'est la réaction chimique du produit (une teinture) sur la surface de polymère qui génère une petite lumière et c'est grâce aux cristaux liquides alignés que les photons peuvent  être canalisés. Comme dans une caisse de résonance, les photons d'empilent et se concentrent pour former un laser, cette lumière concentrée

Avancées possibles
- Production massive de laser à bas coût
- On peut imprimer des lasers sur toute sorte de surface
- On pourrait créer des «surfaces communicantes» («smart material»): pour éclairer ou pour transmettre de l’information. Un scanneur pourrait capter la lumière des lasers sur un papier peint et lire les informations inscrites (à propos de la salle, etc.)

Il me semble que nous avons affaire à une découverte intéressante, mais dont on connait pas encore tous les débouchés. Probablement qu'on verra apparaître une série de lasers jetables ou des papiers peints qui contiennent des messages codés par les lasers.

Que feriez-vous avec une telle invention, vous?

Source
Des imprimantes à jets d’encre pour imprimer des lasers sur la BBC http://bbc.in/Vma7vV 

Transparence et candeur en temps réel

Étonnante histoire de transparence appliquée à une entreprise prise dans une crise.

À 15h42 (heure du Pacifique), un employé de Storify efface par mégarde la base de données de tous les comptes (il croyait qu'il effaçait une copie sur son poste). Le 404 ne se fait pas attendre. Storify tombe.

Les réactions sur Twitter sont immédiates.



Et alors se produit l'incroyable: Storify revient en ligne et utilise son propre service pour commenter sa gaffe et récolter les commentaires des internautes à ce propos. Le processus de backup y est expliqué et rien n'est caché. Dans la plus pure transparence: Storify raconte ce qui s'est bêtement passé.

Une erreur aussi banale qui a des conséquences aussi graves aurait fait plonger une compagnie en bourse. Ici, ils ont réussi à la jouer autrement, sans utiliser la langue de bois et les pieux mensonges.

Et les internautes semblent avoir passé l'éponge.

Qu'auriez-vous à leur place? Est-ce vraiment une bonne façon de gérer une telle crise qui touche la sécurité même de leur service? Le niveau de sympathie semble a voir été épargnée, pourquoi selon vous? La candeur paye-t-elle a tous les coups? Est-ce un exemple à suivre?

(via @emilejosselin et @unjoyeuxluron)

Internet comme sixième sens?

En repensant au passé pré-internet (cette ère qui s'estompe tel un rêve dont la véracité nous semble furtivement s'effriter au fur et à mesure qu'on s'en éloigne), on se demande «comment on pouvait faire avant»? André Gunthert apporte dans son blogue quelques réflexions (ici et ici) sur la portée de cette connexion permanente de l'esprit aux données numériques ambiant. Détaillons (Allez vous faire un café, on ne la fera pas à la Twitter).



D'amblée, reconnaissons qu'il ne s'embarrasse pas d'épargner notre sensibilité d'homo-pré-internicus (c-à-d les plus de 20 ans): Gunthert avoue qu'il ne sait pas si, avant, nous étions intelligents, mais il est sûr d'une chose, au moins: c'est qu'avec Internet, nous le sommes davantage.

«Si je tente d’évaluer le nombre de signalements dont je prends effectivement connaissance par le biais des réseaux sociaux, l’ordre de grandeur de la multiplication est largement supérieur à 1000».

Cet enseignant-chercheur, spécialiste des cultures visuelles et des cultures numériques, ne noie pas sous d'obligeantes citations académiques, et autres références pontifiantes, le fait indiscutable qu'Internet a été une grande invention (on se reparlera sérieusement une autre fois de cette lourdeur chez certains académiciens de vouloir toujours éviter l'opinion pour privilégier les sources superfétatoires quand ils tentent de décrire les récents développements d'Internet. D'ici là vous pouvez relire en quoi leur savoir est parfois pesant par rapport à la légèreté de la connaissance profane, sujet que j'ai déjà abordé ici jadis).

Gunthert ne se gêne pas pour affirmer ainsi: «[P]our quelqu’un qui a connu le monde d’avant-internet, [c'est] tout simplement miraculeux.» (source)

“Comment faisiez-vous avant internet?” 


http://www.vintageadbrowser.com/communications-ads-1940s/2#ad12l612i47uomfo

Après une expérience de déconnexion forcée, mais agréable (il s'agissait de vacances hors du territoire de son fournisseur mobile), Gunthert devait reconnecter avec le temps long --celui de la contemplation de la mer-- conditionné par son choix géographique et balnéaire.

Cette déconnexion n'était nullement un retour aux sources, mais une exception dans sa réalité: il n'y a guère plus que le temps des vacances et de la retraite pour s'offrir un tel luxe. «Le chômage, autre forme de temps vide, est beaucoup trop stressant pour qu’on apprécie de profiter nonchalamment d’un temps moins libre que contraint».

L'étrange sentiment qu'il a vécu -- et que vous lecteurs avez aussi vécu, j'en suis certain-- est cet insolite sentiment que le net avait envahi inéluctablement nos vies privées. Nous sommes rendus à prendre pour acquis que nous pouvons en tout temps «interroger notre environnement». Ce n'est plus seulement au travail que nous questionnons le web, mais aussi dans nos moments personnels à propos de tout et de rien qui nous entoure.

Alors, sans connexion internet, on se retrouve à «affronter la vie» comme si on était «aveugle, sourd et muet»:
«Quel temps fera-t-il demain? Quelle est la forme de la côte? A quelle distance suis-je du rivage? Comment s’appelle cet oiseau? Comment s’explique la configuration de ce massif? Quelle est l’histoire de ce quartier? Que signifie le nom de cette rue? Boulet a-t-il posté une nouvelle note? Ai-je des commentaires sur Culture Visuelle?» (source)
Il conclut ainsi (je souligne):
«Pendant toute cette semaine, je me suis aperçu, médusé, de toutes les questions que j’avais pris l’habitude d’adresser à mon environnement, sachant que j’avais de grandes chances d’obtenir un résultat. La puissance documentaire d’internet a élargi le monde et augmenté notre vision dans des proportions inimaginables. Plus que des réponses, le savoir infini du web nous a appris à ne plus jamais refuser de nous demander comment, qui et pourquoi. Plus encore que la connaissance, il nous a apporté un émerveillement, une vigilance et un questionnement inépuisables.» (source)
Les savants ordinaires
http://herd.typepad.com/.a/6a00d83451e1dc69e2016761ca7532970b-800wi

Gunthert ne pense pas que la curiosité était absente du monde pré-internet. Mais notre curiosité y était limitée par la disponibilité des informations et du temps libre à notre disposition. La curiosité savante était affaire de riches; seuls ceux qui étaient indépendants de fortune pouvaient espérer trouver réponse à des questions éloignées des préoccupations terre-à-terre (comme survivre versus traduire un texte grec ancien).

Aujourd'hui, comme évoquée dans les commentaires à son deuxième billet, la curiosité intellectuelle est devenue accessible à tous:

«Pas besoin d’avoir de longues heures de loisir pour s’instruire, ni même de fréquenter des lieux de savoir souvent épeurants pour qui n’est pas tombé dedans tout petit. On se questionne à son rythme, on trouve les réponses adaptées à son entendement.» (source)

Il faudra éventuellement se demander quel type de prédisposition il faut pour qu'Internet devienne ainsi un telle source d'inspiration. À celui qui sait distinguer la crédibilité d'une information, Internet est le plus passionnant des outils d'apprentissage. Pour l'incompétent, c'est une illusion fatale qui l'enferme dans ce qu'il croit déjà savoir.

Il m'est apparu cet été aussi qu'Internet était entré définitivement dans ma vie personnelle (et non plus seulement relié à ma vie professionnelle). Si j'arrivais à éviter d'aller lire mon fil RSS des meilleurs blogues du monde, il m'était difficile de me passer de Google Map, Wikipédia, Facebook ou Twitter, puisqu'ils étaient devenus mes points de contact pour lire, voir et interroger la réalité.

Via mon mobile, Internet est devenu mon 6e sens...

McLuhan et l'extension de nos sens

Marshall McLuhan avait très tôt entrevu --et probablement a été longtemps le seul-- que les impacts sociaux et individuels des réseaux ne résulteraient pas d'une avancée technique per se, mais qu'il découleraient bien d'une redéfinition de l'espace médiatique dans la société même et entre les individus.

Boris Baude, dans son livre, plus récent (voir mon billet), a suggéré une géographie du virtuel en posant la question: de quoi Internet est-il l'espace? On dit souvent qu’Internet abolit l’espace. Beaude dit au contraire qu'Internet crée de nouveaux espaces avec de nouvelles propriétés. Internet est un espace relationnel (même s'il n'est pas situé dans un lieu).

Mais McLuhan conçoit les médias électroniques comme une extension des sens. Il a été jusqu'à dire que l'humanité entière deviendrait comme une extension de notre peau. C'est l'autre façon qu'il avait de parler du village global. [Si vous avez du temps libre, écoutez l'émission de Xavier Delaporte qui porte sur McLuhan].

Le médium détermine la perception sensorielle qui sera filtrée par elle. Il établit la manière d'être ensemble, il le façonne même. McLuhan ne dit pas autre chose finalement que ces outils changent notre rapport au monde. Voyez comment vous communiquez différemment via Twitter, Facebook ou LinkedIn.

Il n'est pas de façon plus abrupte de le comprendre aujourd'hui ces théories prémonitoires qu'en se débranchant d'Internet. Plus que toute autre technologie (la télévision, le radio, le téléphone, etc.) nous allons avoir plus de mal à nous en passer...

Je ne dis pas qu'il est indispensable. Je suggère simplement qu'il est devenu pratique d'utiliser ce 6e sens pour mieux appréhender le monde. Les 5 premiers sens permettent à l’homme de percevoir le monde qui l’entoure et correspondent chacun à un organe. Mais à quel organe est relié ce 6e sens?

Ce 6e sens vient de nos capteurs branchés aux bases de données du monde interconnecté.

Réalité intégrée

Si la prémisse est bonne, c'est-à-dire qu'on va réellement embrasser le pouvoir d'interroger à volonté notre environnement, nous ne nous contenterons pas seulement d'optimiser technologiquement nos 5 sens (c'est déjà commencé), mais nous serons tentés aussi de vouloir connecter directement le cerveau aux senseurs eux-mêmes pour accéder à une autre réalité des choses -- des données, organisées ou non, dans des bases qui « augmenteraient» le monde.

La «réalité augmentée» existe déjà. Du moins, le concept est lancé (j'en ai parlé jadis ici) et la première intégration annoncée sera les lunettes Google, encore à l'état de prototype. Dans 20 ans, on trouvera risible ces avancées. Depuis 1 an ou deux, on a déjà réussi à connecter des neurones à des puces de silicones, et le développement d'une communication directe homme-machine n'ira qu'en s'accélérant.



Il semble qu'un chemin se trace devant nous où, dès qu'on ne peut plus se passer d'interroger le monde à travers nos outils --aujourd'hui primitif--, nous chercherons à optimiser cet acquis pour posséder une plus grande puissante pour accéder à la réalité augmentée, qui sera en fait une réalité intégrée.

Se connecter d'une façon ou d'une autre à un accès vers les bases des données sans passer par nos organes (un disque dur cervical? du stockage de données dans notre ADN? du big data pompé dans notre nerf optique?), c'est en fait un nouvel organe qu'on se greffe.

Profitez de vos prochaines vacances déconnectées. Ce seront vos derniers souvenirs de «l'ancien temps»...

Comment les réseaux sociaux peuvent-ils servir la pédagogie?

Ce genre de question m'est posé quand je donne des conférences dans les écoles sur les médias sociaux. Elle est très pertinente. Je ne crois pas qu'aucune réponse n'épuise le sujet. Et je ne crois pas que ce billet fera exception. Mais mon billet d'aujourd'hui cherchera à reformuler la question autrement pour donner une prise à ceux et celles qui se posent sincèrement la question et cherchent à voir un début de réponse...


Les questionnements qui émergent suite à mes rencontres avec les enseignants tournent souvent autour de la façon d'implémenter les médias sociaux dans leurs cours. En 2012, on a parfois l'impression d'être vieux jeu si on n'a pas intégré Twitter dans son syllabus.

Je réponds alors qu'avant de faire entrer une nouvelle technologie dans la classe --surtout les plateformes commerciales Facebook et Twitter-- il faut auparavant les utiliser soi-même. Il faut s'être familiarisé personnellement avec les outils pour comprendre les vraies questions qui émergent à leur contact.

"Toto, I've a feeling we're not in Kansas anymore" 

Les médias sociaux ne sont pas une version alternative à un logiciel déjà existant. Ce n'est pas Chrome qui remplace Firefox, ni Firefox qui remplace Internet Explorer, ou Internet Explorer qui remplace Netscape. Oui ce sont des outils, mais c'est une tout autre façon d'aborder l'accès aux informations et à la connaissance (que j'appelle le filtrage social) qui a été démultiplié grâce à ces nouveaux outils. Les médias sociaux donnent un accès au contenu d'une façon aussi éloigné de nos habitudes que le World Wide Web l'a fait en nous donnant accès à du contenu hyperlié il y a 20 ans.

Si les profs ne l'utilisent pas entre eux les outils des médias sociaux, il ne faut pas espérer alors qu'ils soient en mesure de reconnaître pleinement la réelle valeur dans un cadre pédagogique.

Souvent, pour répondre à la question de savoir comment les réseaux sociaux peuvent servir la pédagogie, je propose de repousser à moyen ou long terme son implantation dans les classes. Du moins tant et aussi longtemps qu'on n'accepte pas certains points implicites des médias sociaux.

De mon point de vue, il faut accepter le fait que le prof devient un accompagnant et non un détenteur de la connaissance. Il n'est plus un garde-barrière, il est un guide.

"It's a twister!"

Cette approche (le prof comme guide) a un nom: elle fait partie du constructivisme, une théorie de l'apprentissage. Je crois que les médias sociaux sont à leur plein potentiel dans le paradigme du constructivisme.

 Les questions que je pose alors en retour sont:

  • Quelle valeur y voyez-vous, pour vous-même, pour vos pairs, pour l'éducation, à utiliser les médias sociaux et à quoi ils donnent accès réellement? 
  • Jusqu'à quel degré le coconstructivisme s'applique dans votre matière?
  • À quelle fréquence et de quelle façon le flux d'information ambiant (médias, réseaux, vie scolaire) influence (ou non) votre matière, le programme pédagogique et la vie des étudiants?

Inutile de faire entrer les réseaux sociaux dans les classes si on ne répond pas à ces questions, si on ne comprend la vraie nouveauté qu'elles apportent (et ses désagréments, notamment au niveau de l'attention). On peut le faire quand même, si vous le souhaitez vraiment. Mais vous aurez de la difficulté  à enlever cette impression que ce n'est qu'une mode...

«Lendemain de veille médiatique»

Stéphane Baillargeon nous partage une bonne réflexion ce matin dans le Devoir en page A7.

Intitulé «Lendemain de veille médiatique» (accès membre seulement), il donne à chaud sa vision des médias en ces temps troublés. Encore une fois, les médias ne semblent plus tout à fait en phase avec la société. Une inquiétude pointe.


En gros:

1- Les médias ne prédisent pas l'avenir: aucun analyste, chroniqueur, éditorialiste, commentateurs n'avait vu venir le tsunami orange l'an passé, ni la résistance du PLQ hier. Même les sondages sont dans le champ. Le morcellement des votes et les votes "stratégiques" changent la donne.

2-Les médias ne valent pas mieux que le système [politique]: Aussi injuste que le système électoral, les débats télévisés ont laissé (ou tenter de laisser) de côté des porte-paroles de parti tiers qui font, pourtant, 7,8,9%. À l'identique du système qui permet à un parti avec 30% des voix de prendre le pouvoir.

3- Les médias ne suivent pas le présent: alors que ces élections ont été précipitées par le printemps érable de la crise étudiante, cet enjeu n'a quasiment pas été un sujet de débat et n'a surtout pas été du tout central à la campagne.

4- Les médias ne changent pas le monde, sauf que: la campagne a mobilisé près d'1 nouvelle sur 5 au Québec. Cette couverture monomaniaque a permis de faire sortir le vote, mais montre plus une fracture entre les éduqués [ceux qui lisent, s'informent] et les désoeuvrés, les exclus, les désabusés.

Il y a probablement bien des nuances à apporter:
  •  L'écosystème des médias avec son arrimage plutôt réussi avec les réseaux sociaux doit encore trouver un équilibre (financier, éditorial, social), ce qui est loin d'être simple.
  • Le rôle des mass-médias en démocratie (journalisme, information) ne me semble plus aussi clair dans un monde de surabondance d'information (et de désinformation).
Or j'ai l'impression que l'auto-flagellation a ses limites. Il faut peut-être que la politique change pour intégrer davantage les outils numériques et entrer au 21e siècle. Alors là, le nouvel écosystème médiatique trouvera peut-être un terrain fertile et s'épanouira au lieu de continuer à ne plus finir de dégringoler...