ZEROSECONDE.COM: février 2013 (par Martin Lessard)

ZEROSECONDE.COM

Impacts du numérique sur la communication, notre société, nos vies.

[panel en direct] Les communications numériques: émancipation ou aliénation?


Je participe à un débat ce soir, organisé par l'Université du Québec à Montréal. Ce sera diffusé en direct sur le web ce soir 18h00 à 19h30 (lundi 18 février 2013)

Thème :Les communications numériques : émancipation ou aliénation ?

(Mise à jour du 11 mars 2013: Lien vers la vidéo intégrale en ligne)

C'est à la salle Salle DS-1950 pour ceux et celles qui ont pu réserver leur place, car c'est à guichet fermé depuis vendredi. La webdiffusion a justement été mise en place pour ouvrir le débat à tous.

Sur le panel, je serai avec: 

professeur à l’École des médias de l’UQAM et 
directeur du nouveau baccalauréat en communication, médias numériques

doctorant en informatique cognitive et 
chercheur en communication

Je suis heureux de croiser le fer avec des académiciens qui partagent la même passion que moi, la communication numérique.

Le MOOC, désir de révolution

Le phénomène des MOOC,  apparu récemment dans les universités les plus prestigieuses des États-Unis, est une mutation peu ordinaire dans l'enseignement à distance. Ce n'est pas une simple mise à jour technologique. Expliquons.


Quand Jean Michel Billaut titre un de ces billets « MOOC : "LA" révolution de l'éducation au niveau Monde», on sait qu'on touche quelque chose qui enflamme les imaginations. Lorsqu'ensuite Claude Coulombe ajoute sur G+ que les «[MOOC] vont tout changer! Croyez en M. Christensen si vous ne me croyez pas... En fait, je ne vous demande pas de me croire, je vais m'efforcer de le démontrer dans mes prochains billets.», on voit que ça touche les passions!

Il y a de quoi! Les MOOC représentent le dernier avatar de l'esprit des Enyclopédistes et des Lumières

Les MOOC arrivent!

On appelle ces nouveaux cours des «cours en ligne ouverts et massifs», traduction littérale de l'anglais «massive open online course» ce qui donne l’acronyme «MOOC». Certains disent CLOM en français. Pas sûr si cette traduction littérale sera retenue.

Ce qui frappe l'imagination? Il arrive fréquemment que 100 000 personnes de partout à travers le monde soient réunies pour un MOOC. Ce n'est pas banal.

Internet est-il en train de bouleverser l’enseignement supérieur? Est-ce que ce phénomène va venir toucher nos universités francophones?

J'ai écrit deux billets sur le sujet des MOOC récemment sur mon autre blogue, Triplex à Radio-Canada

À quand les MOOC en français?
La course au MOOC

Made in Canada

L’acronyme «MOOC» en anglais est apparu en 2008 lors d’un cours organisé par Georges Siemens de l’Université d’Athabasca en Alberta et Stephen Downes du Conseil national de recherches du Canada

Ils devaient cours à 25 étudiants de l’Université du Manitoba, mais durant l’été 2008 mais ils ont décidé également d’ouvrir en  ligne et plus de 2000 participants ont décidé d’embarquer.



Est-ce si différent?

Ça ressemble à première vue à une formation à distance comme on peut en trouver dans une télé-université (Yoohoo, Teluq!!). Mais les MOOC ont un petit quelque chose de différent des cours à distance traditionnel.

1) La fréquence des cours se donne comme un cours en classe normal, c-à-d à chaque semaine, durant 10 à 15 semaines, et non tout d’un coup comme un cartable bourré de notes de cours qu’on reçoit par la poste (ou par dans un lien courriel)
2) On peut être des milliers à le suivre le cours en même temps, d’où sont nom de «cours massif»
3) Ils sont gratuits, d’où le nom de «cours ouverts»

On peut en rajouter un 4e:  le fait que les MOOC utilisent souvent les outils déjà en place dans l’écosystème du web 2.0  comme Facebook ou Google + Hangout, les forums, les bulletins, etc.

Plusieurs tentatives lancées par Yale, Oxford ou Stanford durant les années 2000 ont fait patate. Ces cours à distance étaient sommes toutes assez classiques: une longue vidéo d’une heure et beaucoup de textes à lire. Et l’étudiant travaille seul dans son coin, seul.

De plus, les cours étaient payants et ne donnaient pas de crédits universitaires. Et vous, une vidéo d’une heure d'un prof qui parle? Est-ce stimulant?

Le premier MOOC de Siemens et Downes avait une approche assez stimulante: on ne sentait pas que le cours était statique, immuable: il vivait en fonction des interactions des étudiants. Cette façon de faire est devenue la base de ce qu’est un cours vraiment innovateur.

- Leur cours reposait sur un partage des savoirs entre les apprenants et sur un simple transfert de connaissance du professeur vers les élèves.

- Les objectifs d’apprentissage sont définis par chaque participant pour lui-même. Les professeurs étaient là aussi pour apprendre du processus.

- La plateforme d’échange permettait aux étudiants d’être en relation entre eux en même temps qu’avec les professeurs.

En pédagogie, on appelle cette approche le «connectivisme»: c’est un apprentissage qui se fait en groupe, en réseau, et qui tient pour acquis que les liens que l’on va bâtir avec les autres pour apprendre sont plus importants que les connaissances elles-mêmes, car ces informations dans un monde en mutations changent constamment.

C'est l'approche des gens comme Mario Asselin et probablement aussi ceux qui se réunissent à Clair une fois par année.

Not your cup of tea?

Ce n’est pas toutes les matières qui se prêtent à cette pédagogie ou tout le monde qui peut aimer cette approche pédagogique.

C'est pour ça qu’on distingue deux genres de MOOC

1) les cMOOC (c pour connectivisme). C'est ce que Siemens et Downes ont fait ! C’est parfait pour se bâtir des connaissances dans un domaine en émergence, nouveau, pas encore bien balisé. Leur premier cours était d’ailleurs un cours sur le concept même du connectivisme. C'est dire le niveau de mise en abîme! Durant toute la session, ils ont exploré les possibilités du concept et ces limites

2) les xMOOC (x je crois pour Xfer, transfer). Si on veut apprendre la programmation ou la neuroscience médicale, une approche plus classique est davantage appropriée: ces cours se concentrent sur la transmission de savoirs déjà existants d’une façon plus magistrale.

Ces xMOOC a une forme beaucoup plus modulaire: les vidéos des professeurs ne font que quelques minutes et non pas une heure,  le temps de présenter un point ou un concept, et hop, ensuite on fait un exercice pour savoir si on a bien intégré la leçon et on passe à la leçon suivante.

Les cours sont déposés chaque semaine. Mais on peut les suivre à son rythme. Par contre il y a quand même une date limite pour remettre les devoirs, même si ce n’est pas chaque semaine. Quoique si on prend trop de temps, on perd des points.

Le but, quand même, est de recevoir son attestation de suivi du cours. Ça n’a pas nécessairement la même valeur qu’un diplôme, mais tout de même: quand l’attestation vient de Harvard ou MIT, ça impressionne.

Bouleversement de l'université en vue?

Il est encore trop tôt pour le dire, mais ce qui est clair, c’est que pour la première fois, les cours en ligne gagnent vraiment en popularité. Et pas juste parce que c’est gratuit. Le certificat d’attestation et la notoriété des universités jouent pour beaucoup.

Moi je ne hais pas l’idée de rajouter à mon CV le fait que j’ai suivi un cours au MIT!

Mais ces xMOOC en soi ne vont pas révolutionner l’université en tant que telle.

C’est plutôt la façon de fréquenter l’université qui pourrait partiellement changer. C’est quelque chose qui va se développer en parallèle des activités existantes.

Les cours en ligne vont représenter une part non négligeable de la formation dans un monde où on sera obligé d’apprendre en permanence.

Dans mes deux billets sur Triplex j'insistais pour dire que le véritable enjeu pour les universités, c’est la popularité que MOOC procure. Les bénéfices financiers que les universités peuvent espérer tirer des MOOC sont plutôt minces dans l’état actuel des choses.

Plus les cours à distance deviennent chose commune, plus la distance géographique n’est plus un élément important dans le choix d’une université. Créer une notoriété avec un MOOC n'est pas à négliger.

Le véritable problème, c’est que les universités francophones n’ont pas de stratégies en place, sauf quelques tentatives. C'est encore embryonnaire.

Les MOOC américains attirent toutes les personnes qui veulent vraiment apprendre, mais qui n’ont pas les moyens financiers, ni la possibilité de se déplacer vers un grand centre d’enseignement.

Pour l’instant, ce sont les Américains qui attirent ces gens assoiffés de connaissance. Y compris les francophones. (Allo l'Afrique. Allo la Francophonie!)

Espérons que ces initiatives ci-dessous vont faire boule de neige.
  • HEC Montréal a offert son premier cours l’automne dernier : Introduction au marketing (avec 40000 participants). Et, le 12 mars prochain, débutera Comprendre les états financiers (45000 personnes y sont déjà inscrites).
  • ITYPA: acronyme pour « Internet : tout y est pour apprendre », le premier cours portant sur le thème Comment fonctionne un MOOC a eu lieu en 2012.
  • L’École centrale de Lille :  Gestion de projet.
  • L’École Polytechnique fédérale de Lausanne : Introduction à la programmation orientée objet (en Java), sur Coursera
Les plateformes américaines

Il existe 3 grandes plateformes populaires en ce moment:

Udacity
C’est un professeur de Stanford (Sebastian Thrun) qui a quitté son poste de professeur, quand il a vu que les cours en ligne que son université offrait attirait des milliers de personnes. Il a créé sa plaforme et fait ses propres cours avec des collègues. Il y a pour l'instant une quinzaine de cours, de  l'intelligence artificielle à la programmation en passant à la statistique. Il y a presque un demi-million d’inscriptions.

Coursera
Avec le succès d’Udacity est sorti en avril 2012 Coursera. Mais à la différence d’Udacity, qui bâtit ses propres cours,  Coursera préfère du partenariat avec des universités comme l’université de Toronto, Standford, Duke et Princeton. On y trouve des cours moins orientés technos comme la sociologie, la philosophie, ou des cours sur la chimie. 2 millions d’internautes se sont inscrits.

edX
C’est le MIT qui est derrière cette plateforme, associée avec Harvard et Berkeley entre autres. C'est une réaction de ces universités pour éviter de laisser le terrain libre à Coursera. Les cours sont centrés sur l’informatique et les disciplines scientifiques, comme des cours d’intelligence artificielle et d’introduction à la programmation.

Réinventer l'université?

Commence bientôt le Sommet de l'éducation supérieure, ici au Québec. Les MOOC comme solution? Hum.  Je crois que ce sont les cours de base, répétitifs, que de toute façon les professeurs laissent aux chargés de cours qui partiront dans les MOOC si on devait aller de l'avant. Alors je suis craintif pour leur jobs de ces chargés de cours.

Mais au delà?

Claude Coulombe y va franchement:
«Ce n’est qu’une première étape. La partie invisible des [MOOC] est la collecte massive des données sur le comportement des étudiants. On parle ici du traitement de données massives (en anglais Big Data) dont les résultats serviront à améliorer les [MOOC] de la prochaine génération.» (Source)
Je ne sais pas si vous saisissez, mais l'enjeu ne se trouve pas nécessairement au niveau de l'individu. Peut-être même pas au niveau de l'université, mais de toute une société. Connaître les patterns d'études permet de mieux adapter l'enseignement. Voilà peut-être une façon de voir les bénéfices d'un MOOC.

Claude Coulombe a fait un calcul rapide et ça montre que les MOOC ne revient pas si cher à produire par étudiant (s'ils sont massivement là, évidemment).

Si la Francophonie se mettait à y penser, il y a là une façon de retenir ce qui nous lie encore ensemble...

C'est donc à suivre

Voici un extrait de La Sphère où on en parlait en début d'année:

TV 2.0: Vers une première fenêtre en ligne?


Voilà qui est rapide. Netflix venait à peine de mettre ses 13 épisodes de House of cards en ligne que la BBC prenait la décision de diffuser ses programmes sur iPlayer avant de passer à la télévision.


BBC vont expérimenter le web comme "première fenêtre" avec une quarantaine d'heures de contenu pendant 12 mois.

Je vous signalais il y a une dizaine de jours cet OVNI qu'est House Of Cards sur Netflix. La série a été commandée par et conçue pour Netflix et tous les 13 épisodes ont été rendus disponibles d’un seul coup.

Les télédiffuseurs contre-attaquent

Ce coup du distributeur a mis en position défensive les télédiffuseurs considérés comme "dépassés" car ils carburent encore au "rendez-vous hebdomadaire" si on résume grossièrement les propos de Netflix.

J'y voyais pour ma part une façon pour les créateurs de s'affranchir des contraintes de formats télé traditionnel. À terme, si toutes les émissions sont accessibles d'un coup en ligne, il n'y a pas de raison que la scénarisation de la série n'en tire pas profit d"une façon ou d'une autre.

En fait, on voit que la première conséquence pour les diffuseurs (pour la BBC en tout cas) a été de déplacer sa "première fenêtre de diffusion" en ligne.

Le format des émissions seront encore conditionnés par la "deuxième fenêtre" de diffusion (la télé) pour un long moment encore...

Miser sur les early fans

Je donnais justement une formation à des producteurs et des télédiffuseurs télé hier après-midi et on discutait du type d'onde de choc que Netflix a envoyé dans l'industrie. 

En voyant cette nouvelle, il me semble que ce déplacement de la première fenêtre a pour but d'aller "nourrir" les fans avides de ces contenus; probablement des influenceurs de leur communauté. 

En effectuant ce changement pour certains programmes, la BBC espère taper dans un certain effet social auprès d'une minorité influente qui donnera (ou non, on verra) un aspect promotionnel à la diffusion à la télé pour le gros du public encore attaché au rendez-vous.

Lire aussi sur Zéro Seconde:







Intelligence augmentée

Hier IBM a mis officiellement en route leur Watson au service de la lutte contre le cancer! C'est le début d'une collaboration fructueuse entre l'intelligence artificielle et l'intelligence humaine!

Les médecins peuvent lui demander quels sont les traitements possibles pour leurs patients. Annoncé il y a un an et «en formation» depuis, Watson a analysé 600.000 dossiers médicaux et environ 2 millions de documents de recherche médicale. Pourquoi? Pour pouvoir à partir d'aujourd'hui aider les oncologues à développer les meilleurs traitements possible pour les patients atteints du cancer.

Watson a été initialement conçu comme un système de questions-réponses pour jouer au jeu télévisuel Jeopardy! Il a battu les 2 meilleurs candidats humains en direct à la télévision en 2011.

Depuis deux ans j'ai écrit plusieurs billets sur cet événement historique et ses conséquences

Watson : l'intelligence augmentée (20 février 2011)
Que nous montre cette expérience?  On voit qu'un ordinateur est capable de se débrouiller de façon étonnante dans des questions de culture générale. Les professionnels qui ont une expertise reposant sur leur capacité à emmagasiner des informations mémorisées et à faire des inférences complexes devraient s'inquiéter.
Exponentiel, mon cher Watson (10 février 2011)
Pourquoi Jeopardy? C'est un prétexte pour démontrer la puissance de recoupement en temps réel à une question que l'on considérait jusqu'à lors comme étant du ressort des humains: des questions de connaissance générale.
Watson 1er (18 février 2011)
Ces machines vont étendre l'intelligence de l'humain. Mais ce que nous pensions être une exclusivité doit être maintenant partagé avec la force brute de la computation informatique.
Abdiquer «l’intelligence» aux robots? (15 octobre 2012)
Combien d’humiliation subirons-nous avant d’abdiquer «l’intelligence» aux robots? On ne pourra pas faire l'économie d'une redéfinition de l"intelligence.
Watson est un système de traitement du langage naturel, qui comprend les questions écrites, les analyse et trouve les meilleures réponses possible. Dans le cas de recherche sur le cancer, IBM travaille avec le Memorial Sloan-Kettering à New York. Le service est disponible dans l’infonuagique.

Watson, le vrai expert

Je ne vois plus comment les domaines d'expertise scientifiques, médicaux, administratifs,  les unes après les autres ne vont pas tomber dans le giron de Watson.

Si philosophiquement parlant, on peut dire que «désincarnation de l'intelligence humaine» est bien enclenché (voir mes réflexions sur le sujet), du côté pragmatique, il faut avouer que ça engendre définitivement des avenues fort intéressantes.

On la nommait intelligence artificielle jusqu'à maintenant. Mais je crois qu'avec Watson, ce qui se met en place, c'est plutôt l'intelligence augmentée.

Watson ne possède aucune motivation à poser ou à répondre à ces questions. Par contre, l'homme, associé avec Watson, voit ses connaissances décuplées.

Je crois que c'est bien le bon terme à adoptée, intelligence augmentée. Voilà l'ère qui s'ouvre à nous.

L'achat de app futiles et dérisoires sur nos mobiles et tablettes tactiles ne seront que des amuses-gueules pour nous habituer d'acheter à la pièce des services demain. Moi je n'hésiterai pas une seconde: j'échangerais toutes mes centaines apps que j'ai pour une seule app Watson.

5 articles que vous avez peut-être manqués

Le week-end arrive, c'est le temps de faire le plein de bons billets. À mettre dans sa besace pour les moments creux.

Apple met en avant les ebooks des auteurs autoédités
Le succès des livres numériques autoédités sur le Kindle Store d’Amazon a donné des idées à Apple. La firme de Cupertino a décidé de mettre en avant ces ebooks à travers une nouvelle rubrique sur l’iBookstore. Celle-ci se nommera « Breakout Books ».

Internet : les empires contre-attaquent
2 000 000 000 d’individus ont appris qu’ils pouvaient non seulement accéder directement à l’information, mais encore qu’ils pouvaient produire cette information, la hiérarchiser et la diffuser selon leurs souhaits. Croire que l’utopie d’Internet touche à sa fin serait mal comprendre sa nature.

Sortir de la tyrannie du présent
Les “long data” servent à évaluer les "évolutions lentes" et à contextualiser les transformations rapides ("big data"). Comprendrons-nous la mécanique des changements brutaux et prédire ce qui se dessine devant nous en ce moment?


Rémunérer les amateurs pour valoriser les externalités positives
Le modèle de l’Open Source et des logiciels libres appliqués à d’autres secteurs de l’économie / La place croissante des travailleurs indépendants et le rôle concomitant des espaces de co-working et d’innovation / la mutation des simples consommateurs en contributeurs actifs. Beau programme.


How Oreo Won the Marketing Super Bowl With a Timely Blackout Ad on Twitter
«During the third quarter of Super Bowl XLVII when a power outage at the Superdome caused some of the lights to go out for 34 minutes, the sandwich cookie’s social media team jumped on the cultural moment, tweeting an ad that read “Power Out? No problem” with a starkly-lit image of a solitary Oreo and the caption, “You can still dunk in the dark.”»

Le bibliothécaire comme DJ

Ça fait un petit bout de temps que je n'ai pas parlé des bibliothèques et du web. Tiens pourquoi pas aujourd'hui.

Oh, ce n'était pas par manque d'intérêt -- j'écris sur le sujet depuis le milieu des années 2000 et j'ai animé des colloques sur la «Bibliothèque 2.0» en 2009 à Montréal -- mais c'est que les gens de ce domaine ont rapidement pris la balle au bond et ont commencé très tôt à se réinventer avant la déferlante des médias sociaux.

De ce côté, il y a longtemps que j'ai passé la main à des spécialistes qui réfléchissent intelligemment sur la question, comme Marie D. Martel (Bibliomancienne), Olivier Ertzscheid (Affordance), Sylvère Mercier (Bibliobsession), Jean-Michel Salaün (Bloc-Note), Hubert Guillaud (La feuille) ou Étienne Cavalié (Bibliothèques [reloaded])... (sans oublier le "Veilleur de Lisbonne": Jose Afonso Furtado sur Twitter)

Comme j'ai croisé Daniel J. Caron (Bibliothécaire et archiviste en chef du Canada), récemment à La Sphère, où il est venu parler des politiques d'archivages à l'ère numérique, ça m'a donné le goût d'en reparler et de vous partager deux idées que j'avais en tête sur le sujet...

La bibliothèque est avant tout un lieu

Tenez pour vous le prouver, juste ce mois-ci, les bibliothèques de Montréal vont s'ouvrir aux jeux --vidéo et plateau. Du 23 février au 10 mars, les Montréalais sont invités à venir dans les bibliothèques publiques de Montréal  pour y jouer. (Plus d'info ici)



La bibliothèque est un lieu, donc. Un lieu où se retrouvent des produits culturels comme le livre, mais aussi la bande dessinée, la musique, les films et maintenant les jeux. Et dans une certaine mesure, le web.

Car pour l'instant le web ne fait pas réellement partie de la bibliothèque: elle lui donne certes l'accès, mais le web ne fait pas toujours partie de la "collection", comme avec les autres produits culturels qui sont passés, eux, à travers un tri "éclairé".

Des tentatives existent et on devrait éventuellement voir une meilleure intégration entre les deux "bibliothèques": celle de votre quartier et celle de la toile.

J'aimerais proposer deux idées:

1- Les bibliothèques comme moine-copistes

J'avais déjà suggéré à un moment donné que les bibliothèques devraient devenir comme des moines copistes pour sauver une partie du web et de la blogosphère en agrégeant (en archivant) des contenus disponibles en ligne --qui risquent un jour de disparaître. La pérennité des contenus en ligne n'est vraie que pour les poches profondes.


Chaque bibliothèque, selon ses compétences, pourrait sauvegarder et valoriser une partie de la connaissance libre, hors du commerce de l'édition, en devant une autorité d'un savoir -- régional, local, thématique, etc. Au lieu de tout vouloir conserver dans tous les domaines, elles se concentreraient sur quelques aspects du savoir, afin d'être le plus exhaustives dans un domaine précis.

Le réseau des bibliothèques, globalement, pourrait ainsi se répartir la charge de sauver le maximum de contenu spontané (dans la blogosphère notamment) selon des compétences locales.

Au fond, on parle ici de la bibliothèque comme gardienne de la longue traîne. Cette idée fera peut-être son chemin.

2- Le bibliothécaire comme Flux Jockey


cc James at Uni
Mais il me semble qu'une autre idée fertile serait de faire jouer le rôle de DJ aux bibliothécaires.

Comme dans les raves, le DJ est la vedette de l'heure qui sait faire groover la salle. Ils se succèdent sur scène et certaines deviennent des vedettes.

À l'heure des flux de contenu en ligne, voir mon précédent billet (On n'ira plus sur le web), il ne faut pas seulement s'attaquer à la queue de la longue traîne (qu'on pourrait associer à la mission de mémoire pour les bibliothèques) mais aussi au foisonnement du temps réel.

Un bibliothécaire, oubliant un peu son devoir de réserve ou son humilité, serait mis au-devant de la scène --et donc en concurrence avec ses pairs d'une certaine manière, mais par émulation-- pour faire sens des flux entrants.

On irait à la bibliothèque à cette heure-là, ce jour-là, cette semaine-là ou ce mois-là, parce que tel ou tel bibliothécaire DJ serait là.

Son rôle: faire de la "curation" en temps quasiment réel des flux entrants de sa localité, de sa région ou mondialement pour repointer vers des ressources dans la bibliothèque ou ailleurs sur le web. (Le terme curation peut être remplacé par médiation si on le souhaite, même si le sens ne recoupe pas tout à fait la pratique auquel le terme anglais fait référence)

Je vois le bibliothécaire dans un monde numérique comme en fait comme un Flux Jockey, un DJ occupé à faire sens de ce qui émerge des médias sociaux et de l'actualité.

Au niveau des modalité, ça pourrait prendre la forme de vidéos-bulles, de conférences, de consultation, d'un blogue, d'une timeline, de podcast, de radio-web, d'activités pédagogiques sur place ou en tournée (écoles, centre pour personnes âgées, place publique, etc.)...

Je laisse soin aux gens concerner de jongler avec cette piste et me laisser un commentaire ci-dessous.

Évidemment, les bibliothécaires ne seraient plus interchangeables


cc Neo Alchemy
Ce qui distinguerait ce bibliothécaire des journalistes ou des chroniqueurs, c'est sa connaissance profonde de ses collections, livres ou blogues (voir point précédent). Mais aussi, il ne serait pas systématiquement en mode push mais pull, où il devra être à l'unisson avec les demandes de son quartier ou de son public. De sa communauté, quoi. Être animateur médiatique, charismatique, populaire. Oh! des mots trop forts?

Culturellement, ça crée un précédent, car il y aurait une forme de vedettariat qui émergerait de ce projet. Mais peut-être est-ce justement une voie qui amènerait les jeunes à voir différemment ce métier.

La bibliothèque de lieu deviendrait une scène.

Que pensez-vous de ces pistes?

TV 2.0: un nouveau format de 13 heures?

Depuis vendredi dernier la nouvelle série «House of Cards» est disponible sur Netflix. Mais il ne s'agit pas ici de parler de scénario ou de réalisation (si vous voulez savoir, oui c'est bon): cette série ouvre une perspective intéressante dans le monde de la télé à l'ère d'Internet. Deux en fait.


1- La série a été commandée par et conçue pour Netflix (un distributeur) et non par/pour un grand réseau de télévision (un télédiffuseur). Une série de 100 millions de dollars. Dans la chaîne de valeur, ce sont les télédiffuseurs, normalement, qui gèrent la "grille horaire". Mais avec la vidéo-sur-demande, qui veut encore d'une grille horaire? Entre en scène, alors, le distributeur.
2- Les 13 épisodes sont disponibles d’un seul coup. Oui en même temps, dès le jour 1 (dans sa première fenêtre, comme on dit). Les nouvelles habitudes d'écoutent développées dans les dernières années, surtout en un temps d'abondance de bonnes séries série de télévision, ont amené les gens à écouter en rafales celles qu'ils ont manquées.
Fin des rendez-vous télévisuels pour les grandes téléséries? 

C’est la première série qui s’émancipe du rendez-vous hebdomadaire dès sa première diffusion. On s’est habitué dans la dernière décennie, avec les DVD et ensuite Tou.tv et Netflix à écouter en rafale les émissions qu’on a manquées.

Une nouvelle narration pourrait se mettre en place, plus proche du film, où il n’y a pas besoin de flashback au début de chaque émission pour nous rappeler ce qui s’est passé la semaine précédente ou avant la pub.

C'est d'ailleurs une série où les réalisateurs ont plus de contrôle, comme au cinéma. Avec les séries, c'était plus les scénaristes qui étaient en contrôle.

À quoi peut bien ressembler une série qui serait produite en sachant qu'on pourra l'écouter en rafale dès la première écoute?

House of cards ne pousse pas outre mesure dans cette direction (la série été vendu à des chaînes télé traditionnelles comme seconde fenêtre de diffusion, donc je crois que le formatage a joué encore un rôle). Mais maintenant que la brèche en vidéo-sur-demande est ouverte, il n'y a plus de raison pour que les épisodes restent formatées en morceau d'1 heure nécessairement, ni même d'égale longueur.

Second écran vs longue traîne

Il y a donc clairement une scission en télévision en perspective, où certaines émissions continueront à être diffusées en direct -- et seront arrimées aux réseaux sociaux avec le second écran-- et d'autres qui seront conçus et consommés sur demande -- et vivront dans la longue traine.


La saison 2 (13 autres épisodes) ont été déjà commandée. On verra s'ils vont en profiter davantage du "nouveau format de 13 heures». Peut-être pas cette fois, mais éventuellement, ça se fera d'une façon ou d'une autre.

Post-Scriptum du 11 mars 2013:
Jean Tourangeau m'a fait suivre des statistiques sur la consommation de ces épisodes sur le territoire canadien:

«Parmi les abonnés canadiens ayant visionné House of cards, quelque 30
% avaient déjà consommé les 13 épisodes de la première saison au
moment de l'enquête, la semaine dernière.
  • Environ 34 % en avaient vu entre 4 et 12, et 35 % n'en avaient pas vu plus de 3.
  • La moyenne du nombre d'épisodes regardés était de 7, ce qui représente 2 épisodes par semaine pour l'abonné moyen du service Netflix.
  • Les abonnés les plus susceptibles de regarder les épisodes les uns après les autres sont les 18-34 ans. Environ 40 % d'entre eux sont déjà passés à travers les 13 épisodes.
L'étude a été réalisée la semaine dernière auprès de 1200 abonnés de
Netflix par la firme Solutions Research Group Consultants.»

Pour mémoire, j'ai écouté les 13 épisodes dans les 7 premiers jours où ils étaient disponibles.

À lire aussi sur Zéro Seconde:

TV 2.0: Vers une première fenêtre en ligne? (suite de ce présent billet)
TV 2.0 : Sous les RT, la plage horaire?
TV 2.0: Google TV

L'Odyssée du iPhone

Le «iPhone 10 Ultra HD»? :


Je ne sais pas à quel point Apple voulait que leur téléphone ressemble au monolithe de 2001, l'odyssée de l'espace (qui a 45 ans cette année), mais mon petit montage ci-dessus montre une certaine parenté entre les deux. Sauf la taille bien sûr. Mais sur le fond, les deux sont pareils: ils nous donnent accès à un monde insoupçonné...

Les rumeurs repartent sur la prochaine mouture du iPhone, objet de toutes les désirs: la dernière est le «iPhone Plus», une «phablet» (nom horrible né du cellulaire se mutant en tablette) de 5 pouces environ.

Dans un billet récent sur mon autre blogue («Des écrans, des écrans partout») j'écrivais que la taille des écrans tend à former un continuum quasi ininterrompu qui part de l’iPod nano au gigantesque ultra HD!

Le iPhone et le iPad ont ouvert un passage vers un monde où l'écran sera notre interface omniprésente au monde, reléguant la télé de grand-père comme monument d'immobilité telles les statues de l'Île de Pâque.
«L’écran devient l’interface obligée, omniprésent, pour réaliser nos transactions quotidiennes. De divertissant, ludique et informatif, l’écran est devenu en plus utilitaire et interactif, du guichet automatique à notre vie sociale (les médias sociaux).» Comme je l'écrivais en début janvier
Lorsque le continuum des écrans sera complété, cette hyperréalité nous entourera de telle façon que nous ne pourrons plus dire que les écrans nous coupent du monde. Elle fera partie du monde et ne sera pas moins réelle que la réalité. L'écran sera devenu un mode encore plus puissant et indispensable pour saisir le monde...

Regardez simplement votre enfant: «il ne va plus sur Google, il va sur Youtube pour apprendre» me disait Sacha Declomesnil au dernier Yulbiz. CQFD

On n'ira plus sur le web

On dit que les jeunes sont nés dedans. «La génération Net (ou M ou Z ou la lettre que vous voulez) n'a jamais connu un monde sans le web». C'est vrai. 

Moi je n'ai jamais connu un monde sans télé. Mes parents n'ont jamais connu un monde sans électricité. Et mes grands-parents n'ont jamais connu de monde sans automobile.

Une génération entière entre maintenant dans les universités en ce moment et ils n'ont jamais connu un monde où ils ne pouvaient pas interroger une base de données pour trouver une réponse à un devoir ou naviguer sur des sites pour se documenter pour un projet.

«Comment c'était avant, le web?» demandent-ils aux vieux (cette catégorie d'âge qui commence à 25 ou 30 ans). Ils sont la première génération à ne pas avoir connu "l'avant".

http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Web.jpg
Mais ils vont se faire poser des questions aussi...

Moi, j'ai bien le pressentiment que leurs enfants à eux vont leur demander cette question intrigante: «Dis papa, c'est quoi le web». 

Ils devront expliquer à leurs enfants ce qu'est le web. Oh, le web ne sera pas disparu. Non, au contraire. Il sera partout, indistinguable, ubiquitaire, permanent. C'est l'idée de nommer une réalité comme si elle était extérieure à nous qui surprendra. C'est le concept que le web se trouvait confiné à un espace, celui d'un écran d'ordinateur. C'est le fait qu'on s'assoyait religieusement devant des claviers comme les moines se recueillaient devant le Livre. 

On n'ira plus sur le web. Le web sera dilué dans tout. Nos voitures intelligentes et autonomes, nos lunettes Google, notre thermostat Nest, bref dans tous les objets qui vont communiquer.

«Oui, mon enfant, je devais taper sur un clavier ou un écran tactile pour aller une site». Cette notion d'aller sur un site (ou pire, d'aller s'asseoir à l'ordinateur pour ouvrir une fenêtre et taper une adresse URL) revêtira un charme suranné comme remonter un moteur avec une manivelle.

 Luc Viatour / www.Lucnix.be

«Personne ne va plus se connecter à un site (ni à un ordinateur)»

Dans un article sur le site de Wired (The End of the Web, Search, and Computer as We Know It), David Gelernter, entrevoit ce futur-là comme celui du worldstream: le flot agrégée de toute la cybersphère. 

Le web 2.0 a apporté le "temps réel" aux masses sur le réseau: tous les flux se résument à "ce qui se passe maintenant!": dernière nouvelle, dernier film, dernières rumeurs, dernier score, dernier statut de vos amis...

«À la place des sites statiques d'aujourd'hui, l'information sera continue et constante dans le worldstream […]. Les gens veulent vraiment être en lien avec l'information.» Ils n'auront pas des navigateurs pour se brancher à un site statique. Ils auront un stream-browser qui filtrera le flot.

Il précise:
  • Chaque source de nouvelles est un flux (livestream)
  • Les contenus seront libérés du site (et filtrés par le navigateur)
  • Le commerce en ligne ne se fera plus par «des visites» mais par un flux personnalisé
Le web qu'il décrit n'est plus le web d'aujourd'hui, chaotique, labyrinthique, statique. Il sera un long fleuve électronique, celui de l'histoire du monde en déroulement...

La pertinence du flux

Sous certains aspects, sa vision fait peur (notamment par l'enfermement sur soi que provoque une hyperpersonnalisation des flux). Mais il vise juste quand même.

Personne ne veut faire une recherche sur le web et tomber sur des «documents pertinents» en soi (sauf les académiciens). On veut savoir ce qui est pertinent pour notre communauté aussi! On veut savoir ce qui fait vibrer les autres (une nouvelle, un livre, etc)! On veut être dans le coup!

Les gens sur le web sont demandeurs de contenu pertinents, des contenus qui répondent à leurs questions. Pour tout type de question, il y a probablement une réponse en ligne. Mais soit il y a peu de réponses vraiment pertinentes disponibles et alors il devient difficile séparer le bruit du signal, soit il y a beaucoup de réponses de qualité raisonnable et alors on ne sait plus par où commencer.

Alors on compte sur le filtrage social pour nous aider. Le contenu peut être perçu comme pertinent s'il l'est aussi dans la communauté. 

Les sceptiques qui brandissent leur doigt en signe de protestation et disent que ça génère des "Gangnam Style" n'ont pas compris. La culture fonctionne de cette façon depuis l'avènement des médias de masse. La «British Invasion» n'est pas autre chose que le K-Pop de l'époque où il n'y avait que des transistors et des 33-tours en vinyle. Et les Beatles était leur PSY (chanteur de Gangnam Style). Chaque génération a la pop qu'elle mérite.

Les réseaux font circuler des contenus pertinents, pertinence établie selon la compétence des membres du réseau auquel on est relié. On fait confiance aux gens de notre réseau parce qu’ils sont proches et ils deviennent "compétents" dans un domaine de connaissance quand ces intermédiaires nous transmettent régulièrement des contenus de qualité raisonnable. Ça peut être le journal local ou un Australien à l'autre bout du monde. La proximité n'est pas seulement géographique. Ils peuvent être producteur de contenu ou simplement un "curateur de contenu", c'est-à-dire quelqu'un qui filtre le contenu "pertinent".

Il faut que votre contenu soit pris en considération par des gens dans un réseau pour qu'il devienne pertinent, au moins du point de vue social et culturel. C'est parce qu'on le trouve intéressant et riche de sens qu'on le recommande aux autres. Sinon, le filtrage social ne fonctionne pas.

Mes amis les objets

http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Spinsel_op_het_weiland.jpg
Nos réseaux sociaux vont s'augmenter d'objets dits intelligents qui vont eux aussi nous partager des informations "pertinentes". 

C'est déjà commencé avec nos cellulaires ultra-paramétrés où des alertes nous avertissent quand un ami se trouve à proximité ou qu'une aubaine se trouve sur Groupon. 

Si vous trouvez ces exemples futiles, c'est que vous vous intéressez simplement à autre chose. Vous allez vouloir demain que votre thermostat Nest 2.0 vous avertisse avant de sortir que la température a baissé de 20 degrés (ou augmenté de 20 degrés, avec le dérèglement de la planète ça varie comme ça un jour sur deux). Ou alors c'est votre GPS en voiture qui va vous avertir qu'il serait souhaitable de changer de route.

Mais dans tous les cas, «on n'ira plus sur le web» de la même façon qu'aujourd'hui.

L'idée même de "se connecter" sera aussi oublié que celui d'être "électrifié", comme on disait jadis pour être relié à l'électricité...